Irak

Détruire une ville pour la libérer !


Les médias annoncent, ce 15 novembre 2004, la mort de 35 soldats américains et 600 blessés à l'occasion de l'attaque lancée par les forces d'occupation impérialiste en Irak. En passant, il est mentionné que plus de mille terroristes ont été tués.

Si les «statistiques» concernant les morts américains et les blessés semblent crédibles. Elles démontrent aussi que le rôle de la «nouvelle armée irakienne», placée sous les «ordres» du nouveau gouvernement de I. Alaoui, semble jouer un rôle assez secondaire. Quant aux mille insurgés «terroristes», ce chiffre peut être interrogé sous deux angles. Tout d'abord, comme au Vietnam, tout vietnamien tué était un «Vietcong», un «communiste», etc. Parmi eux il y avait évidemment de nombreux enfants et jeunes femmes, sans parler des vieillards. Ensuite, dans de nombreux reportages, qui passent sur les médias arabes et les entretiens avec des représentants de la Croix-Rouge irakienne (Croissant-Rouge) laissent clairement entrevoir que la population qui est restée prisonnière dans Fallouja, entre 20'000 et 40'000 personnes selon les estimations, subit non seulement les assauts directs des troupes de la coalition, essentiellement américaine, mais souffre du non-accès à tous soins, médicaments, nourriture, eau, etc. Y compris dans la population qui a pu sortir de cette ville avant l'assaut, se développent des maladies propres à ce genre de déplacements forcés, maladies mortelles pour les enfants ; sans parler des traumatismes et de la souffrance de ces populations qui auraient dû jouir d'une libération et de la démocratie depuis plus d'un an, grâce à leurs libérateurs américains, aidés par Dieu et sa médiation terrestre: Bush.

Fallouja est «tombée», comme le disent les responsables militaires américains qui se contentent d'affirmer qu'il faut nettoyer encore quelques postes de résistance. Fallouja est tellement tombée qu'elle est en ruines. Une chose est sûre, Fallouja est détruite. Une autre chose est certaine, la résistance s'exprime avec force dans d'autres villes et, le report d'élections, tenant pourtant de la farce, a été envisagé par l'ancien homme de main de Saddam Hussein, Alaoui, qui prolongea ses services en travaillant pour la CIA et les services secrets britanniques. Autrement dit, un homme au service des valeurs universelles de la démocratie.

Nous reproduisons ci-dessous des extraits de deux articles parus dans le quotidien anglais The Independent les 14 et 15 novembre, dont les auteurs sont Raymond Whitaker et Kim Sengupta (ce dernier se trouve avec les troupes américaines). Réd.

 

La victoire de la bataille de Fallouja a été déclarée. La caméra de télévision montre des marines entrant dans des quartiers déserts: «ce sont comme les photos de l'avance dans Bagdad», dit un téléspectateur [en Irak] au moment où la caméra montre, par-dessus l'épaule du conducteur du tank le tir d'armes dans une rue vide. Par ce simple commentaire, le téléspectateur, inconsciemment, met le doigt sur le véritable problème: plus d'un an après que George W. Bush a déclaré la fin des grandes opérations militaires en Irak, l'armée etasunienne, appuyée par les forces britanniques et irakiennes, continue toutefois la guerre. Alors que les forces etasunienne sont engagées dans ce qui est qualifié d'opération de nettoyage à Fallouja – quand bien même des tirs d'artillerie lourde continuent –, les organisations humanitaires soulignent la catastrophe humaine dans la ville. Fardous al-Ubaidi, du Croissant-Rouge, déclare: «les conditions à Fallouja sont catastrophiques». Y compris le ministre de la santé irakien, Alaa Alwanm affirme que les ambulances ont commencé à transférer des «quantités significatives» de civils blessés sur les hôpitaux de Bagdad. Toutefois, il ne donne aucun chiffre. Washington et le gouvernement intérimaire irakien argumenteront que les civils habitant Fallouja avaient reçu de nombreux avertissements sur ce qui allait se produire. Plus de 80 % d'une population estimée entre 200'000 et 300'000 personnes auraient dû quitter la ville avant l'assaut qui a commencé dans la nuit du lundi 8 au mardi 9 novembre.

Mais, diverses sources d'information, qui certes proviennent au compte-gouttes de la ville, indiquaient que de très nombreux habitants y étaient restés, bien qu'ils ne soient pas visibles pour les caméras de télévision. Leur situation est très difficile.

Aamir Haidar Yusof, un commerçant de 39 ans, a fait sortir sa famille, mais est resté pour surveiller sa maison, non seulement durant les combats mais aussi à cause des pillages qui, invariablement, se produisent après un tel assaut. Il nous dit: «les Américains tirent sur les maisons, même s'ils ne constatent que de tous petits mouvements à leur intérieur». De même, «ils détruisent les automobiles, parce qu'ils pensent que toutes voitures contient une bombe. Les gens qui sont restés se sont déplacés de la périphérie [d'où l'assaut a été donné] vers le centre et ils restent dans les soubassements des maisons. Il ne restera plus rien de Fallouja quand se sera terminé. Déjà ils ont détruit un nombre si grand de maisons avec des bombardements aériens et maintenant, ils le font avec des tanks et des armements lourds».

Les commandants militaires américains insistent sur le fait que les victimes civiles à Fallouja sont peu nombreuses. Mais, le Pentagone, comme on le sait, dit qu'il ne les compte pas. Les habitants qui se sont récemment échappés de la ville, décrivent des affrontements entre troupes américaines et non-combattants, y compris des femmes et des enfants dont un certain nombre a été tué par balles ou à l'occasion de bombardements.

«Il est probable que quiconque soit blessé va mourir, parce qu'il n'y a ni médicaments et qu'il n'y a ni possibilité de contacter un médecin», nous dit Abdul Hammed Salim, un volontaire du Croissant Rouge irakien. «Il y a des tireurs d'élite placés dans tous les endroits, si tu sors ils te prennent pour cible». Sami al-Jumaili, un médecin du principal hôpital de Fallouja qui échappa à l'arrestation lorsque les installations hospitalières furent prises par les troupes américaines, nous a dit que la ville se trouvait sans médicaments et que seuls quelques cliniques étaient ouvertes. «Il n'y a plus un seul chirurgien à Fallouja, dit-il». «Une ambulance a été attaquée par les troupes américaines et un médecin blessé. Il y a des centaines de civils de blessés dans les maisons qui ne peuvent bouger. Un enfant de treize ans est mort dans mes bras».

Quelques 10'000 personnes se sont réfugiées à Habbaniya, à 20 kilomètres à l'ouest de la ville. Elles ont de nombreuses histoires tragiques à nous raconter. «Beaucoup de personnes innocentes sont mortes», nous dit Suleiman Ali Hassan, qui a perdu son frère. «Les Américains disent qu'ils ne visent avec leurs tanks et leurs avions que les combattants. Toutefois, je sais qu'il y avait huit personnes qui sont mortes aux côtés de nos frères».

Samira Sabbah est arrivée au centre de réfugiés, hier, avec ses trois enfants. Mais son mari est resté à Fallouja. «Les gens vivent comme des animaux», dit-elle. «Il n'y a ni électricité, ni nourriture, ni eau. Nous avions très peur de sortir de la ville, parce qu'il y a des tirs qui venaient de partout. Nous ne savons pas comment nous allons survivre maintenant». Rasul Ibrahim, père de trois enfants, est sorti de Fallouja avec son épouse et ses fils. Il nous dit: «il n'y a pas d'eau. Les gens boivent de l'eau polluée. Les enfants en meurent». Mohammed Younis, un ex-policier, nous raconte: «les Américains et Alaoui disent que Fallouja est plein de combattants étrangers. Ce n'est pas vrai, ils sont partis depuis longtemps. Vous pourrez les rencontrer dans d'autres lieux, à Bagdad». La véracité de ses paroles fut confirmée par le conseiller à la sécurité nationale de Alaoui, Quassem Daoud, qui nous dit que «1000 saddamistes et terroristes» sont morts à Fallouja et que 200 furent capturés. Parmi ces 200, indique-il, il n'y en aurait que 14 que ne seraient pas irakiens et seraient iraniens.

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Des milliers [d'habitants] sont restés attrapés dans cette ville. Hier, les corps calcinés se voyaient par dizaines dans les rues de la ville et des centaines de maisons étaient réduites à l'état de ruine. Les Irakiens qui restaient à Fallouja dénonçaient qu'il n'y avait ni eau ni alimentation, au moment où les agences humanitaires avertissaient que la ville et ses environs devaient faire face à une véritable «crise humanitaire».

Le typhus et d'autres maladies se répandent parmi les survivants. Les restes de corps en décomposition forment des montagnes humaines. Des milliers de personnes restent emprisonnés dans cette ville, souvent blessés, sans aide médicale. La ville apparaît comme un champ de désolation et de destruction, une majorité de maisons rasées jusqu'au raz du sol, de nombreuses mosquées sont en partie détruites, les poteaux téléphoniques arrachés, les câbles électriques de même. Les voitures sont réduites à un amas de ferrailles dans les rues. Le capitaine Adam Collier, de l'armée américaine, invoque des raisons de sécurité pour ne pas laisser passer sept camions remplit de vivres, de médicaments, de tablettes servant à purifier l'eau, camions sous contrôle du Croissant-Rouge irakien. Mais un fonctionnaire de la ville, le colonel américain Mike Shupp, affirme: «nous n'avons pas besoin d'approvisionnement venant de l'extérieur de la ville, parce que nous disposons de toutes les provisions nécessaires pour les gens. Un pont aérien va s'ouvrir et nous transférerons les victimes et le travail de solidarité va pouvoir commencer».