Mesures d'accompagnement au rabais pour la libre circulation des personnes
 
 

Conférence-débat

Jeudi 17 mars 2005, 20h15, Salle des Vignerons, Lausanne
(buffet de la gare 1er étage),

La gauche face aux accords bilatéraux, à Schengen,
à la «libre circulation»
et aux dites mesures d’accompagnement

orateurs: R. Molo, juriste, et C.-A Udry, économiste

Trois questions peuvent être posées à celles et ceux qui – de bonne foi, admettons-le – s’opposent à un référendum contre le «paquet» fédéral «libre circulation» et «mesures d’accompagnement». Un référendum lancé par ceux et celles qui disent «OUI à une libre circulation adossée à des droits sociaux et syndicaux» et «NON au dumping social et salarial».

Constats partagés

Des données sont admises par tous et toutes. Tout d’abord, les conventions collectives de travail (CCT) couvrent moins de 50% des salarié·e·s en Suisse. Ensuite, celles qui existent sont souvent réduites au minimum mentionné dans le Code des obligations (CO). L’extension des CCT (soit leur donner force de loi) nécessite l’accord de la partie patronale, au moment où cette dernière suspend des CCT, les vide de leur substance et cherche à établir des «rapports directs» avec les salarié·e·s dans l’entreprise (comme dans la chimie où c’est le désert syndical). Enfin, pour ce qui relève de «l’imposition de contrats types» – qui représentent un seuil de protection se situant en dessous de la ligne de flottaison du «standard social moyen» en Suisse – il faut que soient reconnus des «abus répétés». Si cela est prouvé, une longue procédure peut s’ouvrir, qui souvent aboutit à des sanctions insignifiantes. Et surtout ce contrat intervient a posteriori, le mal ayant été perpétré durant des années.

Tout cela permet l’établissement de normes «anormales» au plan salarial et social. Ces dernières tendent à se diffuser dans la branche et deviennent, de facto, une référence pour des salarié·e·s précarisé·e·s qui arrivent sur le marché du travail et sont utilisés parfois, même après l’établissement d’un contrat type, comme main-d’œuvre travaillant «au noir» (diverses formes de travail non déclaré donc susceptible d’être encore plus discriminé).

Occasion négligée

La gauche se trouvait en 2003 face à cette situation contractuelle, enregistrée d’ailleurs par le Congrès de l’Union syndicale suisse (USS). Dans le cadre des négociations avec le Conseil fédéral, y compris après juin 2004, existait la possibilité d’imposer plus. En effet, la très large majorité du patronat voulait faire aboutir les Accords bilatéraux qui sont à leur avantage. Exiger un certain nombre de normes de nature légale, qui protègent, un peu plus, l’ensemble des salarié·e·s, pouvait aboutir. Alors, des «mesures d’accompagnement», modestes mais effectives, auraient existé.

Il y avait là une conjoncture exceptionnelle. Un petit pan du droit du travail en Suisse, pour toutes et tous, Suisses et immigrés, pouvait être bâti.

•  comportant, par exemple, une protection des délégué·e·s syndicaux contre les licenciements, ce que le tout récent rapport (17 novembre 2004, 291e session) du Comité de la liberté syndicale de l’OIT (Organisation internationale du travail) réclame pour tout le secteur privé en Suisse; un secteur qui ne fait que croître avec les privatisations rampantes et la suppression progressive du statut de fonctionnaire (contrats de droit privé).

•  obligeant tout employeur (y compris avec moins de 10 salarié·e·s, comme les dernières données disponibles nous incitent à l’affirmer maintenant) à publier dans la Feuille fédérale officielle électronique le contrat, le salaire et la qualification de tout nouveau salarié (l’information sur le nom restant réservée aux seules commissions tripartites). Les commissions tripartites devraient aussi faire savoir publiquement quand ces normes ne sont pas appliquées. C’était une vieille tradition syndicale (boycott d’employeurs antisyndicaux). Cela aboutirait à la mise en place d’un système de référence qui battrait en brèche le «secret du salaire» permettant, en Suisse, des différences «clandestines» entre salarié·e·s, qu’ils soient Suisses ou immigré·e·s. Le salaire est en effet très souvent utilisé comme une forme de mise en concurrence au sein même des entreprises, avec les «rognes» interindividuelles qui en découlent.

•  permettant, dans les branches où il n’y a pas de CCT, d’imposer un contrat type de travail contraignant avec salaire minimum et horaire de travail clairement défini, sur seule demande du syndicat.

•  donnant à des inspecteurs du travail les droits prévus par la Convention 47 de l’OIT, de sorte que la «caserne ne soit pas tout en ordre, juste avant la visite annoncée du colonel». Toute personne qui connaît le monde du travail sait que les inspecteurs actuels suscitent la méfiance des salarié·e·s. Il ne s’agit donc pas seulement du nombre ridicule d’inspecteurs (150 prévus, mais qui ne sont pas stables, car ils dépendent du budget cantonal avec les «fluctuations» que l’on connaît). Il s’agit de mettre en place des inspecteurs réellement existants. Il était possible d’introduire ici une certaine rupture avec la situation présente.

Cela pouvait se faire car le patronat veut le «paquet» – ce qui devrait déjà faire réfléchir la gauche – et prédit même le chaos si les bilatérales ne sont pas acceptées. Il y avait une conjoncture où des droits fondamentaux – réunis dans la Déclaration universelle des droits de la personne humaine (1948) – pouvaient être instaurés comme lois, au même titre que la loi sur le temps de travail que Marx pensait décisive, par exemple.

1. Saisir une nouvelle possibilité?

Cette conjoncture peut se représenter si le référendum aboutit et si un NON sort des urnes en septembre 2005. Les droits énumérés ci-dessus – plus qu’élémentaires – peuvent servir aux syndicalistes pour un travail sur le terrain, pour mobiliser, pour faire reculer la peur. Comment est-il possible que cela ne soit pas compris?

2. Quelle unité et mobilisation des salarié·e·s?

Comment ne saute-t-il pas aux yeux des syndicalistes ou de la gauche qu’une «libre circulation» – qui par définition n’est pas libre pour les salarié·e·s, comme le montrent des dizaines d’études sur les migrations – dans un monde du travail où les droits sociaux et syndicaux sont de plus en plus limités aboutit à faire «librement circuler» des «êtres humains» amputés de droits fondamentaux? Des êtres humains qui sont contraints de vendre leur force de travail, mais sans disposer des droits fondamentaux qui en font des êtres humains plus «complets», et donc plus aptes à participer à des mobilisations collectives, rassemblant les diverses couches d’immigré·e·s – très souvent placées par le gouvernement et le patronat dans des situations d’antagonisme (ex-Yougoslaves contre Portugais ou Noirs) – et de travailleurs autochtones. Il en va donc de l’unité des travailleurs/travailleuses.

Renoncer à une défense – au sens de faire tout pour que des droits élémentaires existent, quand l’occasion se présente, ce qui est rare – des travailleurs immigrés, voilà qui est difficilement compréhensible.

En 2002, au sein de la population active, dans l’industrie 190000 salarié·e·s sont immigré·e·s et travaillent, en majorité, sur les postes les plus durs. Dans le commerce 149000 sont immigré·e·s, avec les salaires que l’on connaît; dans la construction 77000, dans la santé 90000, dans l’hôtellerie et la restauration 56000, etc.

Ce sont eux, en premier lieu, qui seront soumis à la concurrence sauvage d’une «libre circulation» qui ne sera pas adossée à des droits sociaux et syndicaux. Et qu’adviendra-t-il? Des conflits à tonalités xénophobes avec les nouveaux migrants. Ils s’ajouteront à ceux qui existent avec une partie des travailleurs suisses (qu’il ne faut d’ailleurs pas dépeindre avec une âme de pasteur qui voit le péché partout).

Il s’agit donc aussi d’un référendum pour les immigré·e·s d’aujourd’hui et de demain afin, à partir d’un NON, de relancer la bataille pour modifier la relation légale minimale, afin de faciliter un travail syndical et associatif.

3. Abandonner le terrain à l’UDC?

Enfin, il faut comprendre qu’il n’est pas nécessaire qu’un nombre important de migrants, «prisonniers» du chômage et «libérés» par Adecco ou Manpower arrive sur un segment du marché du travail pour que la «structure des prix» (le salaire) se modifie à la baisse. L’exemple allemand est là pour le montrer (voir Spiegel, N° 7-8/2005 et La brèche n° 10).

Mieux, les études sur l’utilisation des «clandestins» (voir Travailleurs de l’ombre? Seismo, 2002) montrent que peut se profiler le scénario suivant: des employeurs pourraient «utiliser» des «libres circulants» de l’UE des 25, tant les protections sont faibles, en lieu et place de requérants d’asile si les «restrictions administratives» croissent. Une nouvelle concurrence serait exacerbée, avec une nouvelle fragmentation du salariat et une nouvelle configuration des xénophobies au sein du salariat en Suisse.

Comment à partir de ces simples données – replacées dans le contexte d’une contre-réforme d’ensemble conduite sous la houlette du Capital et de ses gérants politiques (le Conseil fédéral) – continuer à être passifs? Et laisser l’UDC et les autres droites nationalistes manipuler un désespoir social et existentiel? Et, de fait, avaliser une unité nationale qui a toujours nourri la xénophobie?

4. D’autres questions à débattre

1° Doit-on opposer lutte syndicale et droits ayant force de loi?

2° Le dumping salarial est-il propre au système économique actuel? Si oui, quelles sont ses formes concrètes à des périodes données?

3° Dans quelle conjoncture politique et sociale sommes-nous et quel sens peut avoir un référendum de ce type?

 

Le Mouvement pour le socialisme (MPS) est partie prenante du Comité référendaire. 2 mars 2005.

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