Mesures d'accompagnement au rabais pour la libre circulation des personnes
 
 

Non au dumping salarial et social !

Non aux "mesures d'accompagnement" au rabais !

Pour une libre circulation des salarié·e·s adossée à de véritables droits sociaux et syndicaux !

Pour des accords multilatéraux entre les salarié·e·s à l'échelle de l'Europe !

Contre les accords de Schengen-Dublin : ils construisent un mur entre " bons" et prétendus "mauvais" migrant·e·s !

Signez le référendum !

Votez NON le 25 septembre ! NON à Schengen le 5 juin !

 

Sommaire

"Libre circulation" et "mesures d'accompagnement " : un référendum, pourquoi ?
Des millions de francs pour un bourrage de crâne
La liberté d'exploiter plus
Ranimer une critique du capitalisme ou conseiller les patrons ?
La libre circulation et le simulacre de sa contrepartie

Les textes… et le contexte !
Le pouvoir d'achat en descente… libre
Salarié·e·s jetables
Redistribuer la richesse produite… encore plus en faveur des riches
Se ruiner la santé et payer
Ils parlent de réformes, ils font des contre-réformes
Des chefs syndicaux ferment les yeux sur la prépotence patronale et tendent la main aux employeurs
Dégradation de l'emploi… au nom de la création d'emplois!
« Alliés objectifs " des xénophobes ? Un vieux procédé stalinien

Migrations, mise en concurrence, divisions et fragmentation des salarié·e·s. Il faut porter la contestation de la xénophobie là où elle est construite par le système et nourrie par les diverses droites !
La « Suisse fermée " contre la « Suisse ouverte " ?
Une Suisse fermée à l'immigration ?

Le nouveau mur de Schengen-Dublin
La droite et le patronat ne cachent pas leur point de vue
L'impossibilité de retrouver une résidence
PSS et USS à propos de Schengen et Dublin
L'usage d'un volant de main-d'œuvre précarisée

Une économie aux abois ; la catastrophe au coin du bois ?
Une économie parmi les plus «libérales" et «compétitives"
Un travail fort bien exploité et le silence imposé sur la place de travail
Un véritable archipel salarial
Le temps de travail le plus long de l'Europe
Le taux d'occupation le plus élevé de l'Europe
La farce de la baisse des prix
Un choc concurrentiel brutal

Des mesures d'accompagnement soldées, mais dont le prix sera payé par les travailleurs
En 24e position. Qui ? La Suisse
Le Bureau international du travail (BIT) condamne la Suisse et l'OCDE la met au pas
Un Congrès… renié
Pour lutter contre ces pratiques antisyndicales

Des « mesures d'accompagnements " dont l'inefficacité est pratiquement enregistrée, mais que l'USS défend aux côtés des employeurs qui déchirent les Conventions collectives !
Les premières mesures d'accompagnement
Dès juin 2004, les dirigeants syndicaux sonnent plus fort le tocsin… puis lâchent la corde
On vit dans un monde extraordinaire
Un point central de la faiblesse structurelle des mesures d'accompagnement
Une équipe qui joue à 8 et téléphone toutes ses passes

Des propositions qui répondent aux besoins de toutes et tous ! Installer des bras de levier qui facilitent une résistance et une riposte sur le lieu de travail et en dehors !
Le besoin d'une riposte unitaire
Les aspects destructifs de ce système apparaissent de plus en plus
Un fait nouveau se profile
Quelques revendications simples devaient et doivent être avancées

 

Fin décembre 2004, les Chambres fédérales ont décidé de regrouper en un seul paquet deux sujets : 1° l'extension de la « libre circulation des personnes " ; 2° les « mesures d'accompagnement " supplémentaires à celles entrées en vigueur depuis la mi-2004.

Alors que les autorités parlent de "libre circulation", les spécialistes sont plus clairs : " Manpower Suisse s'est mis à recruter en masse des chômeurs est-allemands… depuis le 1er juin, date de l'entrée en vigueur de l'accord bilatéral sur la libre circulation des personnes." (24 heures, 2-3 octobre 2004) Le chiffre d'affaires de Manpower Suisse a progressé de 25 % dans le bâtiment au 3e trimestre 2004 ! Le quotidien économique francais La Tribune raconte : " Chez Manpower Polska, Adecco Poland on a a` peine le temps de se frotter les mains entre deux "commandes" occidentales en main-d'oeuvre polonaise." (22 décembre 2004)

• Derrière cette « libre circulation " se cachent aussi une mise en concurrence – planifiée par le patronat – des salarié·e·s à l'échelle de l'Europe (UE) des 25 et une conception strictement utilitariste (« tirer le plus grand profit ") des migrations contraintes.

• Parallèlement, dans chaque pays de l'Europe, tout est fait pour précariser les conditions de travail et attaquer les quelques éléments existants de droit du travail (protection contre les licenciements, droits syndicaux, etc.). Un seul slogan est imposé : « accroître la compétitivité " de chaque économie… sur le dos de tous les salarié·e·s.

• D'un côté, le Conseil fédéral – comme les forces le soutenant – parle de « libre circulation ". De l'autre côté, il renforce les « barrières " à la libre circulation de tous ceux et celles qui ne font pas partie du « cercle " des 25 pays de l'UE. Ainsi, les patrons et les autorités sélectionnent les salarié·e·s les « plus qualifiés " des pays non-membres de l'UE. Ils utilisent lesdits « sans-papiers " comme une main-d'œuvre corvéable à merci. Voilà une des origines, politiquement et économiquement construite, de la xénophobie et du racisme. Ces multiples sélections et statuts divisent celles et ceux qui ont des intérts identiques face au patronat : les salarié·e·s.

• Les « mesures d'accompagnement " au rabais ne protégeront pas contre le dumping salarial et social les salarié·e·s travaillant déjà en Suisse ou qui y viendront. Toute la politique de l'UE à 25 comme du Conseil fédéral, dans toutes ses composantes politiques, a deux objectifs : 1° dégrader les conditions de travail et de salaire; 2° redistribuer une part accrue de la richesse produite par le travail en direction d'une petite minorité. Cette dernière impose la dictature de la « rentabilité financière " aux êtres humains et aux machines (flexibilisation des salaires et du temps de travail, travail en flux continu, dégradation des retraites et des assurances sociales, attaque aux services publics, etc.). Face à cette politique, le « compromis " des mesures d'accompagnement est une mauvaise solution. C'est un piège, ce n'est pas un petit pas en avant !

 

 

Par respect pour les salarié·e·s nous avons choisi de développer ici une argumentation assez complête et d'échapper à la propagande de type soviétique et publicitaire.
Celle qui prend les salarié·e·s pour des consommateurs irréfléchis, gobant des slogans ayant l'allure d'évidences.

 

"Libre circulation" et "mesures d'accompagnement": un référendum, pourquoi?

Des millions de francs pour un bourrage de crâne

Lancer un référendum consiste à utiliser un droit: exiger que soit soumis à un vote populaire un texte législatif émanant des Chambres fédérales.

Pour le faire, il faut avoir de bonnes raisons. Une premiêre raison pourrait justifier un référendum lancé par une force qui considêre que le système social et économique en place produit toujours plus d'injustices, de discriminations, d'inégalités. Laquelle?

Le simple constat que les dirigeants économiques et politiques de la Suisse – ceux qui multiplient les attaques contre les salarié·e·s – sont prêts à dépenser des millions en propagande pour essayer de "convaincre le peuple".

Depuis octobre 2004, les seigneurs de la Suisse SA proclament leur intention. Ruth Durrer Balladore, membre de la direction de l'Union patronale suisse, affirme que son organisation va "travailler main dans la main avec economiesuisse" (l'officine de bourrage de crâne des milieux d'affaires). Les employeurs "concentreront leur activité sur la libre circulation des personnes" (24 heures, 2-3 octobre 2004).

La liberté d'exploiter plus

De quelle liberté peuvent-ils bien parler? Quelle "liberté" peuvent-ils bien défendre? On peut résumer la réponse ainsi:

1° Thomas Alleman, directeur chez Hotelleriesuisse, explique: "Pour la cuisine, le service, la réception, nous trouverons en Allemagne des collaborateurs três qualifiés, dont les prétentions de salaire restent modestes." Autrement dit, dans un secteur où les normes de travail et de salaires sont souvent médiocres, elles vont encore être abaissées.

2° Le professeur George Sheldon de Bâle – qui a participé, en 1994-1995, à l'élaboration de la nouvelle loi antisociale sur le chômage (LACI) – ne cache pas le but de cette prétendue libre circulation des personnes: "Avec l'ouverture du marché du travail, le personnel disponible augmente et cela pêse sur le développement des salaires." Autrement dit, le recours à un réservoir de chômage élargi permettra d'écraser les salaires, en particulier ceux des salarié·e·s œuvrant dans les secteurs les moins bien lotis.

3° A propos des "mesures d'accompagnement", censées protéger contre le dumping salarial, Peter Hasler, directeur de l'Union patronale suisse, conclut ainsi l'éditorial de l'hebdomadaire Employeur suisse: "Les entreprises suisses ne devront pas s'attendre à des surcoûts de dépenses et de contraintes administratives. Souhaitons que l'agitation artificielle entourant ces nouveautés [le protocole additionnel des mesures d'accompagnement] retombe le plus vite possible, afin de libérer des forces pour une campagne de votation réussie." (23 décembre 2004) Le terme dumping a un sens en économie: déclarer une guerre économique.

Pour le porte-parole du patronat helvétique, les "mesures d'accompagnement" ne sont qu'une feuille de vigne. Et le dumping salarial n'existe pas!

Dans le mensuel du seco (le secrétariat d'Etat à l'économie), Vie économique, Hasler osait affirmer: "[Un salaire de 900 francs par mois] ce n'est pas du dumping, c'est tout simplement le niveau actuel des salaires. C'est peu, j'en conviens, [mais] ce n'est donc pas du dumping que l'on peut sanctionner." (n° 3, 2004, p. 20) Donc si le chômage et la mise en concurrence généralisée des salarié·e·s obligent certains d'entre eux à travailler pour des queues de cerises, c'est simplement à cause de la "loi de l'offre et de la demande" sur le "marché du travail". Cette loi ne peut être sanctionnée. Il faut laisser le marché fonctionner librement, ce qui veut dire que le rapport structurellement inégalitaire entre entrepreneur (employeur) et entrepris (salariés) est présenté comme naturel et donc juste!

Le conseiller national Herman Weyeneth, UDC de Berne, explique cela à sa maniêre: "La souplesse du marché suisse du travail permet de tirer le meilleur profit économique de l'offre de main-d'œuvre des nouveaux [pays] membres de l'UE." (Assemblée de l'UDC, 8 janvier 2005)

Un chercheur du Bureau International du Travail (BIT), Jean-Michel Servais, éclaire les éléments qui facilitent cette politique de la droite néo-conservatrice: "L'ouverture des frontiêres a avivé la concurrence et accru la pression à la baisse des salaires et charges sociales… Le paysage des relations professionnelles s'en trouve passablement bouleversé." [1] Traduction: le patronat utilise chômage et mise en concurrence pour refuser toute concession, pour imposer ses diktats. Pour les syndicats, l'heure est donc à la résistance et à la riposte bien pensée, pas aux compromissions.

Ranimer une critique du capitalisme ou conseiller les patrons?

Dês lors une question surgit: pourquoi les sommets des syndicats suisses peuvent-ils accepter de vendre – en compagnie d'Hasler – le multipack: "libre circulation" et mesures d'accompagnement?

Ces dirigeant·e·s – qui ne manquent pas, deux fois par année, de faire des déclarations emportées – devraient réfléchir à ce qu'encourage l'hebdomadaire social-démocrate tempéré de Suisse romande, Domaine public: "Et surtout Reconvilier [grêve de Swissmetal en fin 2004] ranime une critique du capitalisme qui doit être entretenue en permanence. Il n'est pas acceptable que les détenteurs de capitaux décident seuls du sort de l'entreprise et de ceux qui en vivent." (3 décembre 2004)

Les sommets du Parti socialiste suisse (PSS) et de l'Union syndicale suisse (USS) font le contraire. L'économiste de l'USS, Serge Gaillard, a le culot de laisser l'avenir des salarié·e·s – travaillant en Suisse et provenant de divers pays – aux mains du bon vouloir des patrons: "Nous sommes d'avis que le risque [économiser sur les coûts salariaux] est faible et dépend en premier chef des patrons" (Conférence de presse USS, 5 janvier 2005)!

Couchepin, Merz et Hasler ont compris dans quel camp se situe ce genre de "réflexion" syndicale. Blocher et l'UDC xénophobe savent tout l'avantage qu'ils peuvent tirer de ce renoncement à une défense effective des salarié·e·s par certains gérants, plus ou moins autorisés, des organisations parlant au nom des travailleurs.

Blocher et la droite nationaliste instrumentalisent de nombreuses frustrations et mécontentements d'une fraction des salarié·e·s suisses. Ces derniers ont été déçus par de nombreuses promesses non tenues: une AVS censée s'améliorer durablement; un IIe pilier sûr et satisfaisant; des assurances maladie qui ne coûteraient pas les yeux de la tête; des loyers qui ne mangeraient pas 40% du revenu.

Ces déceptions vont accroître parmi des couches populaires un sentiment anti-politiciens traditionnels. Ils apparaissent comme faisant un bloc, car le PS ne cesse de revendiquer le consensus et la collégialité.

L'UDC va capter ce type de mécontentement. Elle le dirigera contre l'Etat social, confondu par de três nombreux salarié·e·s avec des institutions (IIe pilier, assurance-maladie) qui n'ont pas répondu à leurs attentes. La droite nationaliste poussera l'offensive néo-conservatrice. Elle va, y compris, contraindre les autres partis à s'aligner, sans trop de réticences de leur part.

Simultanément, l'UDC cherche à rassurer des salarié·e·s ou des retraité·e·s en désarroi. Elle leur fournit desdites valeurs nationales, créées historiquement contre la gauche et le mouvement ouvrier, depuis la fin du XIXe siècle.

On n'est pas loin de la politique de Bush qui a gagné des couches populaires: valeurs religieuses néo-libérales, d'un côté, et contre-réformes sociales, de l'autre.

La gauche a limé son profil, sa critique du système capitaliste au moment même où Blocher et les radicaux lançaient, dés les années 1990, leur offensive antisociale virulente. Celles et ceux qui, à gauche, aujourd'hui, sont tétanisés par la construction idéologique xénophobe – bâtie par Blocher comme par la droite majoritaire – oublient, momentanément, que l'humus sur lequel peut se développer la xénophobie est fertilisé par la régression sociale, la concurrence entre salarié·e·s et le manque de détermination des forces syndicales et politiques. En quelque sorte, l'offensive xénophobe et le danger qu'elle représente a occulté à leurs yeux – du moins temporairement – les conflits de classes sociaux et leur expression juridique actuelle. Le multipack libre circulation et mesures d'accompagnement concrétise cette combinaison entre conflit de classes et normes juridiques. D'où l'importance qu'une gauche radicale (allant à la racine des relations sociales dominantes) soit présente dans ce combat. Elle doit aussi proposer des revendications et des droits concrets qui peuvent devenir un des leviers d'une autodéfense et riposte de l'ensemble des salarié·e·s. Sans cela, le terrain politique sera occupé soit par la droite nationaliste, soit par la gauche institutionnelle qui a facilité la percée de l'UDC. Opposer activité directe syndicale et combat référendaire relève d'une vue simpliste mais rassurante. Au nom du combat anti-xénophobe, une gauche pourtant souvent combative accepte la subordination à l'unité nationale, au moment d'une période de bouleversement historique des conditions de travail et de vie.

La libre circulation et le simulacre de sa contrepartie

La Déclaration universelle des droits de l'Homme (1948) reconnaît simultanément que chacun·e "a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence" (art.13), "a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage… a le droit de fonder avec d'autres des syndicats… pour la défense de ses intérêts" (art. 23), "a droit à la sécurité sociale" (art. 22).

Ce que cette Déclaration universelle proclamait alors devoir être valable dans le cadre d'un Etat doit l'tre présentement à l'échelle de l'Union européenne et de la Suisse, au moins.

Or l'accord bilatéral sur l'extension de la libre circulation aux nouveaux Etats membres de l'UE (25 pays) n'associe pas ces droits fondamentaux. Au contraire, il utilise l'un (incomplet) – la "libre circulation" – pour affaiblir les autres (droits sociaux et syndicaux parodiés dans les mesures d'accompagnement).

Le conseiller fédéral Joseph Deiss, comme un épicier, établit avec précision la comptabilité double des "droits": "la libre circulation constitue un pas considérable pour la flexibilité", avec "la réglementation d'accompagnement… il y a bien gain de flexibilité". Traduisez: gains pour le patronat de flexibiliser [2] salaires, heures de travail, licenciements…

Voilà une raison primordiale pour s'opposer à cet accord. Au mur de Schengen-Dublin, le "paquet" ajoute une séparation entre droit à la "libre circulation" et, ce qui devrait en être la contrepartie, droits syndicaux et sociaux renforcés.

 

Les textes… et le contexte!

Peut-on exprimer un accord avec des textes des autorités (Chambres et Conseil fédéral) ainsi que des patrons – le "paquet" libre circulation et mesures d'accompagnement – sans tenir compte du contexte dans lequel ils sont proposés?

Peut-on ignorer le fossé entre les discours du Conseil fédéral et la réalité au plan social et économique?

Peut-on ignorer la cascade d'attaques contre l'ensemble des salarié·e·s: hausse des primes d'assurances maladie, salaires bloqués, licenciements de travailleurs et travailleuses "âgés" sous divers prétextes, agression contre les services publics au nom de l'austérité budgétaire, politique toujours plus répressive à l'égard des étrangers et des requérants d'asile, etc.?

A ces questions notre réponse ne peut qu'tre: NON! La sous-enchère salariale et la précarisation des emplois ont pris leur envol depuis la montée et la permanence du chômage dés 1991-1992.

Un chiffre doit être connu: du 1er janvier 1993 au 31 décembre 2002, 1204403 personnes ont été contraintes de vivre, à un moment donné, avec des allocations de chômage. Durant cette période, une personne sur quatre travaillant en Suisse a donc été, au moins une fois, au chômage (Sozialalmanach 2005, Caritas). Dans ces circonstances, les craintes sont grandes parmi les salarié·e·s. Le patronat utilise ces circonstances pour imposer ses diktats… au nom de "l'amélioration future de l'emploi"! Chaque patronat fait de même en Europe, avec l'aide de la Commission européenne de droite musclée, présidée par l'ancien maoïste José Manuel Barroso (Portugal).

Passons en revue quelques éléments du contexte dans lequel la combinaison "libre circulation" et "mesures d'accompagnement" au rabais est proposée comme un paquet cadeau – en réalité une bombe à retardement! – aux salarié·e·s de toutes nationalités travaillant en Suisse!

Le pouvoir d'achat en descente… libre

Le quotidien suisse alémanique Blick titre: "42% travaillent pour un salaire de misère" (3 novembre 2004). Après avoir montré que des plâtriers-peintres devaient accepter des salaires de misère, le quotidien conclut: "La branche de la construction n'est que la pointe de l'iceberg. Les syndicats soupçonnent que des situations semblables se retrouvent dans les secteurs de la restauration, du nettoyage, de l'agriculture et, en partie, du commerce."

Le pouvoir d'achat d'un secteur important de salarié·e·s en Suisse, toutes origines confondues, n'est pas celui imaginé par certains pisse-copie à la botte du conformisme néo-libéral.

La dernière enquête de l'OFS (Office fédéral de la statistique – 23 novembre 2004) démontre que la moitié des ménages dispose d'un revenu d'équivalence disponible [3] inférieur à 3737 francs par mois. Vingt pour cent des ménages, en 2002, avaient un revenu d'équivalence disponible inférieur ou égal à 2452 francs par mois!

Entre 2002 et 2003, le nombre de travailleurs/travailleuses pauvres (ayant un emploi à plein temps ou équivalent) a augmenté de plus de 15%.

Dans le SonntagsBlick (5 décembre 2004), Werner Vontobel démontre que les salaires réels ont stagné ou reculé depuis 1993. Cela d'autant plus si l'on tient compte des hausses des primes d'assurance maladie, des changements dans la contribution des salarié·e·s aux caisses de pension (IIe pilier), et de l'augmentation des loyers. Une étude du Fonds national de la recherche scientifique vient de démontrer que 553000 personnes vivaient dans la pauvreté en Suisse, parmi lesquelles 232000 enfants.

Un dernier exemple. "Les quelque 300000 salarié·e·s travaillant dans le secteur des transports et de la communication sont particulièrement exposés à la pression globale sur les salaires. Ces dernières années, les salaires réels ont baissé de 3% dans cette branche." (SonntagsBlick, 26 septembre 2004) Certains dirigeants syndicaux devraient lire des articles de ce journal populaire et pas seulement y chercher leur portrait, satisfaits d'eux-mêmes.

Le Temps, quotidien de référence en Suisse française, met les points sur les i: "Les milieux économiques… [font] de la libre circulation des personnes un pilier central de la politique économique future." (4 janvier 2005)

Logique: c'est un bras de levier pour abaisser les "coûts salariaux". Une formule trompeuse qui laisse penser que les travailleurs coûtent, alors qu'ils produisent une valeur ajoutée accaparée, de plus en plus, par les détenteurs du grand capital. Ces derniers ne sont pas des philanthropes.

La conclusion est simple. Le "paquet" proposé et défendu, ensemble, par les employeurs et divers sommets des appareils syndicaux a une fonction précise. Sur le moyen terme, quelles que soient les intentions actuelles syndicales, il aboutira à accentuer cette libre descente du pouvoir d'achat (coûts salariaux) au nom de la défense du Standort Schweiz, de la "compétitivité de l'économie suisse".

Salarié·e·s jetables

La précarisation des conditions de travail ne cesse de s'aggraver. L'hebdomadaire économique de Suisse alémanique Cash illustre ainsi la situation: "Et, aujourd'hui, les entreprises laissent partir beaucoup plus facilement les collaborateurs qui ne répondent pas à leurs exigences." (23 décembre 2004)

L'enquête annuelle du Credit Suisse confirme les effets de cette politique caractéristique du fonctionnement du système économique actuel: "La peur de perdre sa place de travail est encore justifiée. Le chômage demeure en tête de la liste des préoccupations de Monsieur et Madame Tout-le-monde… 69% craignent de perdre leur emploi, il s'agit du taux le plus haut enregistré depuis 1995." (Cash, 23 décembre 2004)

Sous un autre angle, un représentant de l'OSEO (Œuvre suisse d'entre-aide ouvrière), en Valais, éclaire la politique de précarisation des conditions d'emploi: "On constate que les places de travail précaires sont en forte augmentation. Cela s'explique du fait que les employeurs, de plus en plus, gardent un noyau dur de places fixes, et, en même temps, des ouvriers qu'on utilise un peu à la carte." (Le Courrier, 23 décembre 2004)

Pas besoin d'tre grand clerc pour comprendre la liberté quasi sans limites que le patronat s'attribue "d'utiliser à la carte" les salarié·e·s. En particulier, quand il peut puiser dans un réservoir élargi de main-d'œuvre, pour reprendre ses propres formules. Et cela sans que des droits et des bornes soient fixés et défendus en faveur de ceux et celles qui sont entrepris (salariés) par les entrepreneurs (employeurs).

Le "paquet" cadeau au patronat doit être rejeté nettement, au moyen du référendum ainsi qu'au travers de mobilisations, même modestes, permettant de traduire dans des droits renforcés (des lois) certains besoins impératifs de protection de la force de travail. Les lois traduisent un rapport de force. Il faut le construire. Celles introduites dans le "paquet" reflètent un "compromis" qui est une chausse-trappe.

Redistribuer la richesse produite… encore plus en faveur des riches

Travailler plus, plus vite, avec un salaire qui stagne débouche sur un résultat évident: une part plus grande de la valeur ajoutée produite est accaparée par ceux qui contrôlent le système productif. Ils utilisent toujours plus une sous-traitance payée à des prix de misère Ce qui oblige les sous-traitants à serrer la vis aux salarié·e·s et à surexploiter la main-d'œuvre. Au bout de la chaîne, le donneur d'ordre encaisse le bénéfice. Cela se passe dans la construction, dans les usines comme dans les grandes surfaces ou dans les services informatiques aux banques et assurances.

Quelques données. 1° Le pouvoir d'achat réel des salarié·e·s n'a pas augmenté en 2004, il en ira de même en 2005. Par contre, les dividendes explosent. C'est la part des bénéfices d'une firme qui est distribuée aux actionnaires. La hausse par rapport à 2003 est estimée ainsi par les analystes: Swatch: 10,43%; Swisscom: 24%; Nestlé: 13,88%, Serono: 8,68%; Givaudan: 5,31%; Novartis: 9,67%; Adecco: 30,44%; Bâloise: 24,44%; Clariant: 15,62%; Syngenta: 17,98%. Or, moins de 5% des ménages suisses possèdent de gros paquets d'actions (17,5% au total ont des actions).

Ces sociétés n'hésitent pas à licencier pour accroître leurs profits, faire grimper le cours de leurs actions et répandre la manne des dividendes. Swisscom (où la Confédération détient 62,7% des actions) a réduit ses emplois de 570 entre septembre 2003 et le même mois de l'année 2004. Clariant supprime 280 emplois à Bâle; Givaudan (leader mondial des arômes et contrôlé par Nestlé) supprime 300 postes pour "économiser" 67 millions par année. Voilà la politique concrète des supporters du "paquet" fédéral!

2° Depuis 1990, l'industrie suisse a perdu 220000 emplois. Mais, en valeur, la production a augmenté de 38%! Conclusion: la part des salaires dans chaque unité produite a décliné à une cadence plus rapide que dans les pays comparables. Les actionnaires épanouis ont capté une part accrue de la richesse produite.

Deux économistes proches du Parti socialiste français décrivent ce qui est mis en œuvre en France, en Allemagne comme en Suisse: "La stratégie des entreprises cherche avant tout à protéger les actionnaires… Le risque est rejeté d'abord sur les salariés par les restructurations agressives et les licenciements massifs…, mais aussi sur l'ensemble des collectivités nationales par la baisse continuelle de la pression fiscale sur le capital." (Michel Aglietta, Antoine Rebérioux, Dérives du capitalisme financier, 2004)

Le "paquet" proposé par ce pacte du Grütli du XXIe siècle – accouplant le patronat, le Conseil fédéral et des sommités syndicales – doit assurer plus de fortune à la cime de la pyramide des actionnaires. Ceux qui reçoivent les cadeaux fiscaux du conseiller fédéral Hans-Rudolf Merz. Une récente enquête montre que 3 pour mille des ménages (soit 12119 du total) concentrent 24% de la fortune. Alors que 60% des ménages déclarent une fortune de 50000 francs et moins (Cash, 18 novembre 2004). L'épargne sanctifiée pour "leurs vieux jours"!

Le club des actionnaires corpulents ne représente pas "la Suisse", même s'il la dirige partiellement. La richesse de la Suisse est le produit du travail des salarié·e·s, de toutes origines.

Le "paquet" proposé cherche à enfermer les salarié·e·s dans une violente concurrence entre eux. Cela aboutit à fragmenter, encore plus, les collectifs de travailleurs, à les diviser. Ce qui doit annuler les quelques droits collectifs qui pourraient faciliter, avec l'appui d'un syndicalisme combatif, leur unité afin de faire face aux employeurs organisés et aux décrets des grands actionnaires.

Se ruiner la santé et payer

Certains surtravaillent; d'autres sont au chômage. Précarisation des emplois, chômage, stress se paient comptant: les atteintes à la santé physique et psychique des salarié·e·s se multiplient. L'Office fédéral de la statistique (OFS) considère que plus de 4 salariés sur 10 souffrent: "une forte tension au travail, si forte que les troubles leur minent la vie à coups de maux de dos, de migraines, d'insomnie… Les conditions de travail se sont notablement durcies depuis 1997" (Tribune de Genêve, 1-2 novembre 2003). Cette enquête parue en 2003 est confirmée par une plus récente, aux résultats encore plus alarmants.

Ce stress est source de maladies. Le coût atteint la somme de 4,3 milliards de francs. Or, la participation des ménages (des salarié·e·s en très grande majorité) au financement des "coûts de la santé" est passée de 57,3% en 1975 à 66% en 2003. Les salarié·e·s s'usent au travail et paient des cotisations à l'assurance maladie… au même tarif que les actionnaires qu'ils gorgent! En dernière instance, ce sont eux qui financent pour l'essentiel les assurances maladie.

Pourquoi la gauche officielle n'établit-elle pas une relation étroite entre les conditions de travail et lesdits coûts de la santé? Le Mouvement populaire des familles (MPF) le fait dans sa réponse au Conseil fédéral à propos de la révision de la Loi sur l'assurance maladie (LAMal) (Monde du travail, octobre 2004).

Ce demi-silence sur la liaison santé-travail s'explique ainsi. Prendre la parole sur cette question vitale impliquerait que les "responsables" du PSS et de l'USS engagent une contre-offensive raisonnée et décidée contre le gouvernement (Couchepin et compagnie) et la politique du patronat. Elle devrait se manifester aux plans social et politique comme sur le lieu de travail. Ils s'y refusent, car ils participent trop aux dîners de gala officiels.

Quant à l'initiative de l'UDC sur la révision de la LAMal elle devrait porter le titre: "Pour la baisse des prestations et de la solidarité dans l'assurance de base".

Renvoyer le "paquet" à son expéditeur, lors du vote du 25 septembre, peut aboutir à poser ouvertement un problème clé pour tous les salarié·e·s: la concurrence aiguisée et organisée entre eux va miner, tous les jours plus, leur santé. Dès 40 ans, il est difficile d'y échapper, même en valorisant jogging et autres "exercices physiques".

Ils parlent de réformes, ils font des contre-réformes

La présidente de l'Europa-Universität Vadrina (Frankfurt), Gesine Schwan, souligne que: "Aujourd'hui, le concept de réforme cache pour la plupart des gens un démantèlement des pouvoirs de codécision, des assurances sociales et du niveau de vie." (Tages-Anzeiger, 31 décembre 2004)

Rien besoin d'ajouter. Si ce n'est que la droite a imposé ses choix et son vocabulaire à la gauche institutionnelle. Cela a son importance dans le débat présent sur le "paquet libre circulation-mesures d'accompagnement".

Prenons un premier exemple. Le président du Parti socialiste suisse (PSS), Hans-Jürg Fehr, affirme dans le journal de la finance zurichoise Finanz und Wirtschaft: "Nous nous trouvons sur le terrain d'une économie de marché, ce qui n'est pas la même chose que le capitalisme." (15 décembre 2004) Voici ce que pense de tels clichés le grand économiste américain John Kenneth Galbraith: "Le choix d'économie de marché pour remplacer avantageusement capitalisme n'est qu'un voile d'absurdité trompeur jeté sur la réalité de l'entreprise… Avec cette expression, aucun pouvoir économique ne transparaît… Il n'y a que le marché impersonnel. C'est une escroquerie. Pas tout à fait innocente." (Les mensonges de l'économie, Paris, 2004)

Nous sommes ici au centre du débat. Les sommets du PSS et de l'USS dénient l'affrontement entre, d'un côté, les intérêts de ceux qui commandent aux salarié·e·s – parce qu'ils possèdent la propriété des grands groupes industriels et financiers – et, de l'autre côté, les besoins de la majorité de ceux/celles qui produisent la richesse. Une richesse dont ils ne contrôlent ni l'usage (investissements, emplois qui y sont liés, type de produits), ni la répartition.

Or, dans cette période de régression sociale impulsée par la crise du système et les politiques néo-conservatrices, l'affrontement entre classes sociales est aiguisé. La preuve en est donnée par les hostilités ouvertes, sous le commandement des Couchepin, Merz, Blocher comme de l'Union patronale suisse et d'economiesuisse, hostilités centrées sur l'urgence impérative des "réformes".

Face à cette guerre sociale – qui ne dit pas son nom – la gauche politique et syndicale "officielle" choisit de réformer les contre-réformes; de se réunir avec "ses partenaires" autour des "tables rondes" afin de perpétuer une "paix du travail", pourtant déjà négligée par l'arrogance du patronat et des autorités.

A sa façon, la gauche officielle surfe sur la peur – compréhensible – créée par le chômage et sur la segmentation des salarié·e·s pour leur dire: "Nous avons obtenu la solution la moins mauvaise possible." Ce fut son choix sur ce "paquet" libre-circulation/mesures d'accompagnement. Mieux, ce paquet elle va le vendre avec ceux qui attaquent les salarié·e·s.

Erwin Jutzet, conseiller national du PS (Fribourg), président de la Commission de politique extérieure du Conseil national, déclare: "Il faudra faire un gros travail d'information [sic!]. Et une bonne coordination des milieux favorables. Ils sont nombreux, de la gauche à la droite, en passant par les syndicats, economiesuisse, l'USAM [sic!], le tourisme, les banquiers, l'industrie agroalimentaire et les corps de police." (L'Agefi/L'Impartial, 20 décembre 2004) Jutzet a certainement oublié les claques données au PS par ces prétendus alliés du moment.

Pour l'essentiel du PSS, la seule perspective sociale et politique peut se résumer ainsi: "UE über alles" [4] !

Une autre option – politique, syndicale et éthique – vise à créer les conditions pour rendre possible, demain, ce qui est impossible aujourd'hui. C'est la nôtre. Elle est le propre des syndicalistes et de militant·e·s sociaux et politiques: qui refusent de faire silence sur l'inacceptable (que ce soit sur le lieu de travail ou face aux multiples discriminations et inégalités dans la société); qui regimbent à jeter un voile d'absurdité sur la réalité, pour reprendre la formule de Galbraith.

Comme des milliers de salarié·e·s, ils comprennent que le "paquet" proposé est un instrument qui sera utilisé par le patronat contre tous les salarié·e·s, qui travaillent et travailleront en Suisse. Ensemble, ils se doivent de manifester leur refus, sous diverses formes.

Des chefs syndicaux ferment les yeux sur la prépotence patronale et tendent la main aux employeurs

La presse du dimanche, le SonntagsBlick (24 octobre 2004), titre: "Un nouveau produit à succès: des travailleurs à demi-prix". Vasco Pedrina, président d'UNIA, aux côtés de Renzo Ambrosetti, reconnaissait lors d'une conférence de presse, le 21 octobre 2004: "La situation n'a fait qu'empirer depuis juin 2004… On travaille pour 18 francs, quand la CCT (convention collective) définit un salaire de 28 francs."

En face de ces pratiques – qui existent depuis longtemps, en particulier dans la sous-traitance – des bonzes syndicaux implorent les employeurs: "L'USS lance plutôt un vibrant appel aux associations d'employeurs dans les cantons pour qu'ils ne fassent pas le jeu de la droite nationaliste." (L'Agefi, 22 décembre 2004)

Voilà de quoi rassurer les travailleurs/travailleuses employés par ce patronat! Voilà de quoi fournir à cette droite nationaliste, sur un plateau d'aluminium, une série de salarié·e·s lésés qui ne voient pas un pôle de résistance-riposte se constituer et agir avec la détermination de ceux "d'en haut"!

Face à cet abandon, un discours anti-politiciens peut être utilisé par la droite nationaliste. Il s'appuie sur le sentiment, en partie justifié, du "ils font quoi qu'il en soit ce qu'ils veulent".

Cette politique de collusion avec le patronat conduite par des responsables" syndicaux – au même titre que l'utilisation de la formule "économie de marché" au lieu de capitalisme – reflète une volonté de fermer les yeux sur la réalité concrète du fonctionnement des grandes firmes. Celles qui font la loi et les lois dans ce pays. Or, un grand juriste du travail, Gérard Lyon-Caen, écrivait: "Il y a tromperie. L'entreprise n'a jamais eu la prétention d'tre une société démocratique. Sa loi est le profit." Et Jean-Michel Servais du BIT ajoute: "Faut-il rappeler que la relation de travail constitue un rapport de pouvoir, de subordination, avec tous les risques d'abus, aussi irrationnels soient-ils quelquefois que cela implique." [5]

Pratiquement cela signifie, comme l'écrit un ancien conseiller de Vasco Pedrina, journaliste économique, Vontobel: "Pour les employeurs, il est plus facile que jamais de remplacer des travailleurs plus chers par d'autres, meilleur marché." (SonntagsBlick, 24 octobre 2004)

Cette prépotence patronale concerne aussi bien le secteur de la construction que les banques. Une récente étude de l'économiste de la santé Gianfranco Domenighetti portant sur les employés de banque montre que la forte utilisation de médicaments (tranquillisants, antidépresseurs) est largement liée au stress provoqué "par la peur de perdre leur emploi et au manque de solidarité avec leurs collègues" (Le Temps, 30 décembre 2004).

La politique syndicale prend trop souvent le ton adopté par le chef économiste de l'USS, Serge Gaillard, qui s'adresse de la sorte aux patrons: "Vous avez le pouvoir de continuer à employer des Suisses à des salaires corrects – alors, le chômage n'augmentera pas." (Blick, 28 décembre 2004)

Cette attitude débouche sur trois contrecoups pour le syndicalisme (à ne pas confondre avec certains appareils syndicaux).

1° La complicité, de fait ou consciente, avec le patronat pousse les chefs d'appareils syndicaux rabougris à n'admettre aucune critique effective dans les rangs du syndicat. Ils assimilent, lentement, la manière forte de faire des patrons. Ils s'opposent à la démocratie syndicale dans la même proportion où ils diffusent la tromperie de prétendues entreprises démocratiques, dites "citoyennes" et "socialement responsables". Or, dans le système capitaliste, cela ne peut être la fonction d'une firme, d'autant plus qu'elle est soumise à une concurrence brutale face à d'autres.

2° Dans sa prière adressée aux patrons, Serge Gaillard – qui dénonce à la va-vite celles et ceux qui s'opposent au "paquet" parce qu'ils feraient le jeu des xénophobes – ne manque pas d'insister sur la préférence nationale: les salaires des Suisses!

Bel exemple de cette politique syndicale qui – depuis longtemps – a attribué aux diverses couches de travailleurs/travailleuses immigré·e·s des positions de deuxième rang; les faisant attendre longtemps, avant de les reconnaître véritablement, à l'instar du Contrôle des habitants.

3° Toute l'argumentation des dynastes syndicaux va se concentrer – plus la votation approchera en septembre – sur la nécessité d'accepter "ce paquet" empoisonné pour les salarié·e·s, car cela avantagera l'économie suisse. Un vieil argument dont les travailleuses et travailleurs peuvent vérifier la solidité en comparant les revenus des entreprises comme des grands patrons et leur fiche de salaire ou l'évolution de leurs conditions de travail.

Sur ce terrain, la médaille d'or peut être attribuée au conseiller national "socialiste" Jean-Noël Rey (Valais), patron de la firme privée DPD (dépendant de La Poste française). Il se réjouit des accords car "les intérêts de la place financière sont sauvegardés et garantis durablement sur un plan contractuel" (Le Peuple Valaisan, 3 décembre 2004). Pour lui, les accords de Schengen et Dublin ont avant tout un effet positif pour la banque helvétique. Parions que le clinquant ex-manager des PTT nous fera le coup du danger "xénophobe" attisé par les référendaires de gauche au cours des premières semaines de septembre 2005.

Si les conditions d'un débat démocratique existent, alors parions que nombreux seront les salarié·e·s qui ne tendront pas les bras pour prendre ce "paquet". Ils le refuseront, au nom de la défense de leur dignité, du refus d'tre trompés si grossièrement et au nom d'une autre politique, de revendications concrètes.

Dégradation de l'emploi… au nom de la création d'emplois!

Le chômage est devenu une constante depuis 1993. Nous l'avons vu. En 2005-2006, cela continuera. Il faudrait une croissance du Produit intérieur brut (PIB) de quelque 2,5% pour faire bouger l'emploi vers le haut. On en est loin. Le Credit Suisse prévoit 1,6% pour 2005; le KOF: 1,8%, l'UBS: 1,8%. Et d'habitude, ces météorologues de l'économie pêchent par optimisme.

Dans un contexte de croissance lente, le patronat, avec l'appui du gouvernement, a choisi la construction d'un moteur à trois cylindres: "surtravail" pour beaucoup; "sans-travail" pour 158416 personnes en décembre 2004; "travail précaire" pour un nombre grandissant de salarié·e·s, de toutes nationalités.

Avec la "libre circulation", sans droits sociaux convergeant vers le haut en Europe et sans renforcement des droits en Suisse, ce moteur à trois cylindres va tourner plus vite. Le prix de l'essence (la force de travail) qui le fait carburer va baisser.

Le schéma est simple. Des centaines de milliers de salarié·e·s en font – et en ont fait – l'expérience.

Cette régression sociale se fait au nom de l'emploi, ce qui ne veut pas dire au nom du plein-emploi. L'objectif patronal: augmenter le taux d'emploi dans certaines couches de la population (femmes, jeunes, etc.), dans le but de disposer de plus de salarié·e·s qui travaillent plus, à un prix (salaire) de plus en plus bas. Et cela, même après la retraite, car les rentes de l'AVS et du IIe pilier permettent de moins en moins de faire face aux dépenses liées à des besoins établis.

Le "paquet" représente des litres d'essence supplémentaires pour faire tourner ce moteur de régression sociale.

Contre l'emballement de cette machinerie, il faut, pas à pas, créer les conditions pour qu'un autre "fabrique sociale", plus juste et différente, puisse se profiler à l'avenir. Un NON, en septembre 2005, constitue un pas sur ce long chemin difficile. Il est moralement préférable de marcher droit que de plier l'échine devant les "maîtres de l'économie" et leurs gérants politiques.

"Alliés objectifs" des xénophobes? Un vieux procédé stalinien

Quand on accole, d'une part, le contexte dans lequel les accords bilatéraux sont passés par le Conseil fédéral et adoptés par ces Chambres qui, session après session, décident de contre-réformes, et d'autre part, les quelques mesures d'accompagnement au rabais, il est difficile de défendre le "paquet" libre circulation-mesures d'accompagnement.

Psychologiquement et politiquement à la défensive, des dirigeants syndicaux ressortent les bonnes vieilles méthodes staliniennes. Lors d'une Conférence de presse, ils déclarent que ceux qui lancent un référendum de gauche sont les "alliés objectifs de la droite nationaliste". Cela nécessite un commentaire.

1° Le terme "d'alliés objectifs" – donc d'allié qui ne veut pas l'tre, mais qui l'est dans les faits – a pour but de disqualifier les référendaires, sans devoir discuter leurs arguments.

La méthode est connue. Elle a été utilisée par les bureaucraties staliniennes et social-démocrates, dans les syndicats ou dans ladite "vie politique". Elle a été inaugurée, en grande pompe, lors des procès de Moscou, lors les années 1930. Cette "notion" devint une des "spécialités juridiques" du régime génocidaire de Pol Pot au Cambodge (1975-1978).

Certes, comparaison n'est pas raison. Toutefois, l'utilisation de ce terme par certains dirigeants de l'USS illustre leur désarroi. Peut-on imaginer François Hollande, secrétaire du Parti socialiste français, accusant Fabius et Emmanuelli (ou Olivier Besancenot de la Ligue communiste révolutionnaire) d'être des alliés objectifs de Le Pen car ils proposent le Non lors du référendum sur la Constitution européenne qui se fera en juin 2005 en France?

Lorsque des arguments solides sont déroulés et que le débat politique devient une dimension de la démocratie, une telle méthode est proscrite. Qu'elle soit utilisée par les chefs de l'USS et d'UNIA en dit long sur leur conception du débat et de la démocratie, dans la gauche comme dans les syndicats.

Pour vendre le "paquet", ils font consciemment l'unité avec un patronat et une droite qui ne cessent de rejeter les plus petites revendications qu'ils avancent dans le parlement ou lors de négociations contractuelles.

Nous risquerions-nous à affirmer qu'ils sont les alliés subjectifs de la droite néo-libérale et du patronat? Evidemment non.

Car leur option est le fruit d'une longue évolution qu'ils ne maîtrisent même pas. Pour eux, ce qui existe aujourd'hui, au plan social et économique, est comme un énorme rocher que l'on ne peut pas bouger. Pourtant, ce rocher est tous les jours taillé et un peu déplacé par les employeurs, les grandes firmes et les associations comme les partis qui les représentent. Eux voient simplement ce rocher comme bouchant leur vue. Ils n'ont plus d'horizon.

2° Ces dirigeants se font les défenseurs des bilatérales. Ils vont jusqu'à clamer, comme Serge Gaillard, le 5 janvier 2005: "Voilà pourquoi la votation sur la libre circulation sera la confrontation la plus importante en matiêre de politique économique cette année."

La défense de tous les salarié·e·s n'est plus pour eux une perspective concrête. Domine une conception qui se résume à avoir une "bonne politique monétaire" de la Banque nationale et à favoriser les entreprises à l'exportation car: "Ce sont les entreprises suisses… qui décident du recours à une immigration supplémentaire."

Bel aveu sur la conception de la libre circulation des salarié·e·s et sur la prétendue priorité mise sur la défense organisée de leurs droits.

Bel oubli d'un fait élémentaire: l'UDC est et fut le champion des bilatérales. Ueli Maurer, président de l'UDC, conseiller national, l'a rappelé à La Chaux-de-Fonds (NE), le 8 janvier: "Quant à l'UDC, elle suit rigoureusement la même voie depuis 15 ans: nous voulons des négociations bilatérales…".

A droite, il y a accord sur une donnée fondamentale: il est possible d'exploiter de façon rentable le grand réservoir de main-d'œuvre qui disposera, effectivement, d'un minimum de droits, et encore plus de droits appliqués.

En faisant un bloc avec les employeurs, la gauche officielle laisse le terrain libre à la droite nationaliste.

Il fallait réagir. Syndicalistes, adhérent·e·s au mouvement altermondialiste et de défense des "sans-papiers", militant·e·s socialistes l'ont fait. En concevant cette initiative politique – le référendum contre les mesures d'accompagnement soldées – comme partie prenante d'un mouvement à construire des salarié·e·s qui sera le résultat de multiples forces, des forces qui peuvent être en désaccord sur un point ou un autre, mais qui savent se respecter en argumentant sérieusement.

 

Migrations, mise en concurrence, divisions et fragmentation des salarié·e·s. Il faut porter la contestation de la xénophobie là où elle est construite par le système et nourrie par les diverses droites!

Parmi les différentes forces politiques comme au sein des sommets syndicaux, l'acceptation sans contestation – à l'amiable, en quelque sorte – de la xénophobie est assez courante.

Se combinent quelques déclarations de principes avec peu – ou pas – d'initiatives allant à la racine de cette division particuliêre des salarié·e·s.

Rien de três étonnant pour la droite. Pour la "gauche officielle", on connaît la longévité de l'adaptation des orientations d'un secteur des appareils syndicaux (FTMH aujourd'hui dans UNIA) à la politique strictement utilitariste de la "main-d'œuvre étrangère". Une politique qui a toujours été dictée par les employeurs et les autorités.

Les discours de propagande en faveur du "paquet" vont reprendre des lieux communs transformés en dogmes incontestables. Les rejeter implique le risque d'tre mis au ban de la "classe politique". Ce qui, certes, n'est pas très grave. Cependant, examinons ces duperies auxquelles un statut de "vérité venue d'en haut" est attribué.

La "Suisse fermée" contre la "Suisse ouverte"?

Par excellence, voilà l'exemple d'un cliché de lanterne magique qui fausse la perspective.

Peu d'économies au monde possèdent une masse d'investissements internationaux – et particulièrement dans les pays de l'Union européenne (UE) et des pays connaissant un fort développement – comme le capitalisme suisse et ses propriétaires.

C'est l'économie la plus internationalisée, non seulement en relation à sa grandeur, mais aussi en chiffres absolus. En 2002, le solde net [6] du stock des investissements directs à l'étranger (IDE) – investissements qui impliquent le contrôle d'une firme en dehors de Suisse – s'élève à 179 milliards (Neue Zürcher Zeitung, 3 février 2004, étude du Credit Suisse).

Selon ce critère décisif, le capitalisme helvétique est en quatrième position, derrière la Grande-Bretagne, le Japon, la France. Ce ne sont pas des investissements pour délocaliser des usines ou des services, même si cela peut s'accentuer dans le futur. Ces investissements sont effectués pour conquérir des marchés, prendre des positions, capter des matières premières et accaparer de la richesse (profits divers) qui sera amassée en Suisse puis réinvestie, partiellement.

Le capitalisme suisse est donc très ouvert sur le monde afin de s'approprier de la valeur ajoutée et "mettre au travail" des salarié·e·s à l'échelle internationale.

Les salarié·e·s travaillant dans des entreprises contrôlées par le capital suisse dans le monde se comptent en 2003 au nombre de 1808298. C'est presque l'équivalent de la moitié de la population active suisse.

Dans la seule Europe des 15, on compte, en 2003, 1333732 salarié·e·s employés dans des entreprises à capitaux helvétiques. La croissance est importante depuis 1999 dans des pays comme la Tchéquie (de 15900 à 20900) ou la Hongrie (9500 à 12158). Dans le seul Brésil, 87000 salarié·e·s travaillent dans des entreprises sous contrôle du capital helvétique (Banque nationale, Bulletin mensuel de statistiques économiques, décembre 2004).

Sur la base des trois critères suivants – intégration économique, transfert de technologies et contacts avec le réseau international du "business" – l'économie suisse se situait au troisième rang des pays les plus intégrés à la société mondiale (Neue Zürcher Zeitung, 26 février 2004).

Cette "présence suisse" est une facette de ce qu'on peut caractériser comme l'impérialisme suisse. Ce dernier utilise la "neutralité helvétique politique" pour mieux développer ses affaires, industrielles, bancaires et assurances. Les "banques suisses" peuvent servir à l'exportation de fortunes amassées par les dictateurs et couches riches et corrompues de Russie, du Brésil ou de l'Argentine et par ceux qui fuient les impôts de leurs pays, depuis l'Italie en passant par l'Allemagne.

Conclusion: le capitalisme suisse n'est pas fermé. Il est même déboutonné. Mais il l'est pour mieux faire valoir ses intérêts, pour capter la richesse produite par des salarié·e·s du monde, pour assurer aux privilégiés et à l'autocratie de l'argent une assurance bancaire contre toute poursuite pour fraude fiscale en Suisse. La même assurance est fournie à la petite minorité qui contrôle l'essentiel de la fortune en Suisse.

De cette ouverture-là, la pensée officielle ne parle pas, à droite, au centre, à gauche. Le théâtre d'ombres a créé deux personnages fantômes: le "Suisse pro-UE" (en général social-libéral) et le "Suisse anti-UE" (de droite). Cela fait le jeu de Blocher, industriel transnationalisé, et de la droite nationaliste. Il faut démonter cette mystification.

Une Suisse fermée à l'immigration?

Nécessité de la "libre circulation" et danger de la "fermeture xénophobe" seront deux leitmotive amplement exploités par les tenants du discours officiel – comme par ceux qui, de fait, l'acceptent – lors de la vente promotionnelle du "paquet". Quelle est la valeur effective de ces produits soldés?

Aprês la seconde guerre mondiale (pour ne pas remonter plus haut), le capitalisme suisse a opéré un double mouvement coordonné.

Le premier: effectuer des investissements (IDE) internationaux, sous le commandement des grandes firmes transnationales (de la chimie aux pharmaceutiques en passant par les banques-assurances pour terminer avec les machines-outils).

Le second: assurer la venue d'immigrants, en contrôlant le plus possible les flux. Cela afin de répondre aux besoins en évolution des investissements (achat de machines et de main-d'œuvre) dans les divers secteurs de l'économie.

Le Rapport sur la politique économique extérieure du Conseil fédéral (2003) est clair à ce propos: "Tout dumping salarial provoqué par les immigrés [sic!] ne saurait être qualifié d'abus. Dans le domaine d'activités exigeant des hautes qualifications, on peut même souhaiter que la libre circulation des personnes stimule la concurrence sur le marché du travail." (Supplément à la Vie économique, 2004) Difficile d'tre plus clairement en faveur de la mise en concurrence des salarié·e·s dans ces secteurs dits de pointe.

D'ailleurs, parmi les critères de sélection des personnes extra-UE à 25, la qualification est décisive… car elle peut être payée à bas prix, "sans abus", et que, dans certains segments du marché du travail, les "spécialistes" sont considérés par le patronat comme trop chers.

Donc, les divers secteurs du patronat ont exigé et exigent, chacun, l'accès à un certain type de main-d'œuvre, de force de travail immigrée. Des tensions peuvent exister à ce sujet entre les restaurateurs et les grands de la pharmacie. Mais le gouvernement va chercher à satisfaire les deux. Toutefois, l'essentiel pour le patronat est ailleurs. L'intérêt se concentre, actuellement, sur les deux thèmes suivants.

1° Maintenir une sélection et s'assurer de la "rentabilité" de cette main-d'œuvre, voilà l'objectif premier. Des catégories de personnes (chômeurs, requérants d'asile, bénéficiaires d'une prestation AI) sont toujours présentées comme étant un "coût pour la communauté". Au cours des années 1950-1960, étaient montrées du doigt les familles de saisonniers – une fois qu'elles pouvaient s'installer en Suisse (regroupement familial) – car une partie des membres n'allait pas, de suite, travailler. Pourtant, actuellement, les fils/filles de migrants d'Italie ou de l'Etat espagnol (seconde ou troisième générations) constituent une part significative des salarié·e·s des banques et assurances.

Cette campagne d'intoxication sur le "coût" des migrants et/ou des chômeurs a pour fonction de maintenir une division-tension au sein même des vagues de migrant·e·s et entre ces derniers et les travailleurs autochtones.

En outre, ce pieux mensonge masque la gestion par les employeurs du marché du travail. Au cours des années 1950-1980, les salaires réels sont toujours restés en dessous de la croissance de la productivité, ce que ne cessaient de confirmer les études annuelles sur la Suisse de l'OCDE. Depuis le début des années 1990, l'objectif est la stagnation et l'abaissement des salaires. Pour détourner l'attention du centre de gravité de la politique patronale et chercher un bouc émissaire, il est utile de désigner le requérant d'asile, l'invalide et le chômeur comme étant un coût pour la communauté. Une fois cela pris en compte, il n'est pas très difficile de comprendre d'où vient, en partie, la construction sociale et idéologique des tensions xénophobes. Les boucs émissaires, l'histoire le montre, sont souvent poussés à s'affronter (couches de chômeurs contre des immigrés, retraités maltraités contre des chômeurs et des immigrés).

2° En outre, le contrôle sur les migrants, avec des formes plus ou moins brutales, selon leur origine, doit rester un instrument disponible qui permet d'assurer la "paix sociale". Ce contrôle a toujours été justifié par le "danger d'éclatement de la xénophobie"!

Voilà ce qui explique, entre autres, la juxtaposition effrayante entre: accords de libre circulation, accords de Schengen-Dublin et nouvelle Loi sur les étrangers (LEtr).

Toutefois, la force transnationalisation de l'impérialisme suisse a abouti à ce que la Suisse soit un pays d'immigration parmi les plus "ouverts" du monde et, sans aucun doute, de l'Europe. Un tiers de la population est issu de l'immigration soit directement, soit par l'un de ses deux parents. Un quart est né en dehors de Suisse.

Pour les employeurs et les autorités, il est impératif d'empêcher une confluence d'une fraction importante des salarié·e·s de toutes origines dans un mouvement commun faisant valoir leurs besoins et exigences collectives face au Capital.

Une "libre circulation" accompagnée de droits sociaux et syndicaux plus que fragiles débouchera sur une situation où la fragmentation et la mise en concurrence des salarié·e·s susciteront des réactions de frustrations individuelles parmi le salariat en Suisse

Cela d'autant plus que le patronat aura une politique étroitement utilitariste du potentiel migratoire des 10 nouveaux pays entrants [7] à l'UE. En outre, le chômage persistera dans toute l'UE, calé sur la politique austère de la Banque centrale européenne et des gouvernements.

Dans ce contexte, sans instrument collectif de défense (commissions d'entreprise, syndicats vivants) plus présent et protégé par la loi, le chemin de la réaction individuelle xénophobe peut prendre le dessus. Et l'action collective solidaire aura plus de difficulté à sortir des starting-blocks.

Voilà une raison supplémentaire de renvoyer le "paquet" à l'expéditeur. A partir d'une nouvelle bataille sur les droits et garanties légales, la possibilité existe d'établir des accords multilatéraux, contrôlés par les salarié·e·s, entre tous ceux et toutes celles qui, dans l'UE des 25, rejettent la nouvelle Constitution néo-libérale européenne.

 

Le nouveau mur de Schengen-Dublin

A gauche, les adeptes du combat contre la droite nationale et xénophobe sont en état de péché mortel, en se commettant avec les concepteurs de Schengen-Dublin!

En effet, Dans le cadre des bilatérales, les accords de Schengen/Dublin ont une place très importante.

La droite et le patronat ne cachent pas leur point de vue

La Fédération des entrepreneurs suisses explique comment, avec les accords de Schengen [8] et le "règlement de Dublin", la Suisse ne sera plus un pays de second asile des autres pays européens.

"En cas de refus de l'UE, ils [les requérants d'asile] peuvent en effet toujours déposer une deuxième demande en Suisse. On estime [sic!] qu'un requérant sur cinq est dans cette situation… En restant à l'écart du "système de Dublin", la Suisse risquerait d'tre confrontée à une forte hausse du nombre de demandes d'asile issues de requérants déboutés en Europe." (Point de repère, novembre 2004)

Comme le prétendait avec nuance, déjà en 1991, un rapport du Département fédéral de justice et police (DFJP), ces accords feraient que la Suisse n'aurait plus le statut d'un "îlot-repaire" de criminalité en Europe!

Avec Schengen et Dublin, les autorités auront (officiellement) accès au système d'information Schengen (SIS) et aux empreintes digitales des demandeurs d'asile, relevées depuis novembre 2003. Elles sont enregistrées dans une base de données (EURODAC). Avec les accords de Schengen, les ressortissants de quelque 126 pays sont soumis à obligation de visa.

La feuille d'economiesuisse – qui file ses "tuyaux" à la presse d'information – résume l'enjeu: ces "nouveaux instruments [SIS et EURODAC] doteraient la Suisse de nouveaux instruments de luttes contre la criminalité et les abus en matière d'asile" (N° 47/1, 13 décembre 2004).

Criminels et requérants d'asile sont cordialement mélangés! Tout est question de définition: faire sortir des dizaines de millions de dollars d'un pays pauvre n'est pas un crime. C'est de la simple exportation de capitaux vers "nos banques". Par contre, déposer deux demandes d'asile, dans deux pays, est assimilé à un délit. Le requérant veut "dissimuler".

L'impossibilité de retrouver une résidence

Schengen et Dublin concrétisent ce qu'Hannah Arendt écrivait dans son ouvrage L'impérialisme: "Ce qui est sans précédent, ce n'est pas la perte de résidence, mais l'impossibilité d'en retrouver une."

La politique de l'UE – et de la Suisse – en matière d'asile s'oppose directement à l'article 13 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme des Nations Unies sur la libre circulation. Elle instaure une différence de droits, considérés comme fondamentaux, entre deux catégories d'tre humains.

Celles et ceux qui peuvent aller et venir librement et s'installer à peu prés où ils veulent. Celles et ceux qui sont exclus de cette possibilité. De la sorte est construite une inégalité fondamentale porteuse de beaucoup d'injustices. Tous les jours, les conditions de vie et de travail des "requérants d'asile" le démontrent. Alors que plus d'un citoyen européen est choqué lorsqu'un pays du "tiers-monde" se risque à exiger un simple visa!

Dès mars 2003, les ministres de l'UE, réunis en Grèce, mettent en place un système de "zone de protection" proposé par le social-démocrate Blair. Elle a une fonction: installer des camps de requérants potentiels aux frontières de l'UE à 25. En février 2003, le Courrier international (hebdomadaire français) résumait sobrement le projet de cette politique "humanitaire": "L'art de se débarrasser des demandeurs d'asile".

PSS et USS à propos de Schengen et Dublin

Que déclarent à propos de Schengen et Dublin les gérants du PSS et de l'USS? C'est-à-dire ceux/celles qui vont distribuer des étiquettes "d'alliés objectifs" des xénophobes aux animateurs du référendum: "Pour une libre circulation des salarié·e·s adossée à de véritables droits sociaux et syndicaux".

Le porte-parole du PSS, Jean-Philippe Jeannerat, parade en proférant: "Schengen et Dublin sont en tête de nos priorités pour 2005, avec l'or de la BNS [Banque nationale] et l'AVS." Voilà un dirigeant du PS dont la parole est d'or.

Quant à Monika Dusong, conseillère d'Etat social-démocrate de Neuchâtel, elle vante: "La collaboration dans le cadre de Dublin [qui] évitera la création d'une "île d'asile" en Suisse". Elle dit craindre "une immigration croissante et incontrôlée" (La Liberté, 15 octobre 2004).

Le quotidien vaudois 24 heures est contraint de marquer son étonnement au vu de cette campagne qui "utilise une argumentation qui flirte avec l'amalgame étranger = malfaiteur" (15 octobre 2004).

Face à une injustice fondamentale, quand le silence devient la règle, il y a consentement. Quand on en commet une, on est prêt à tous les reniements.

Les "mesures d'accompagnement" doivent aussi être analysées sous cet angle. Au mieux, elles relèvent d'une vague bonne intention; au pire d'un simulacre habillé par la formule d'André Daguet de la direction d'UNIA: "Un strict minimum".

En fait, la virulence avec laquelle les sommets d'UNIA traitent de "fondamentalistes" celles et ceux qui manifestent des inquiétudes fondamentales portant sur les conditions de travail et de vie de la majorité salariée révèle leur malaise. S'acoquiner à la Fédération des entrepreneurs de Suisse pour défendre, main dans la main, les Accords de Schengen-Dublin nécessite une colonne vertébrale assouplie et des convictions assoupies.

Les travailleurs le soupçonnent. Plus d'un a connu, à la fois, l'arrogance patronale lors des renouvellements conventionnels et les conditions imposées à des salariés très précarisés et fragilisés – les "clandestins", les temporaires – engagés par des "sous-traitants" opaques et envoyés sur les chantiers.

L'usage d'un volant de main-d'œuvre précarisée

Le volant de main-d'œuvre précarisée – dont les conditions vulnérables de travail deviennent lentement des normes admises – répond à un "appel d'air".

Pas l'appel d'air qui ferait que des dizaines de milliers attendraient pour déferler sur la Suisse. En réalité, existe une offre permanente de travail par des employeurs de divers secteurs (nettoyage, bâtiment, restauration-hôtellerie, agriculture, distribution discounter, etc.), de travail "illégal", "non déclaré", "sous-traité".

La sélection des "cerveaux qualifiés" extra-UE des 25 se combine avec cette offre qui s'exerce avec la tolérance, de fait, des autorités dont les menaces répressives affaiblissent encore plus la situation des salarié·e·s contraints d'accepter l'inacceptable.

Demain, il y aura affaiblissement des droits sociaux et syndicaux pour tous et mise en concurrence des salarié·e·s de l'UE des 25. Cela avec une particularité: une recherche par certains employeurs de substituer des extra-européens par certains ressortissants des pays où le chômage est inversement proportionnel au revenu… (Roumanie, Bulgarie). Et cela se fera en réduisant les "coûts salariaux" et en intensifiant le travail.

Schengen-Dublin et les accords dits de "libre-circulation" avec des mesures d'accompagnements soldées font un tout. Ce tout doit être rejeté, pour ouvrir la voie à une autre politique en termes de droits syndicaux et sociaux, comme de droits des migrants et des requérants d'asile.

 

Une économie aux abois; la catastrophe au coin du bois?

Chaque fois que les "milieux économiques" et les forces gouvernementales veulent faire passer une contre-réforme, ils peignent le diable sur la muraille. Des dizaines de milliers d'emplois risquent, selon eux, de disparaître si le "peuple souverain" ne suit pas les sévères avertissements du patronat et du Conseil fédéral.

On se demande comment il y a encore un chômeur en Suisse, avec tous les emplois sauvés grâce "aux bonnes décisions" du souverain prises sous l'emprise d'une dés information douceâtre! Les faits sont pourtant là.

Une économie parmi les plus "libérales" et "compétitives"

Une récente étude du KOF (organisme d'études économiques auprès de l'Ecole polytechnique de Zurich) indique que l'économie suisse reste en tête pour ce qui est de l'innovation; avant l'Allemagne, la Suède, la Finlande (NZZ, 20 avril et 1-2 mai 2004).

De mauvais choix effectués par les directions des grands groupes industriels ou des financiers ont parfois affaibli cette avance (Basler-Zeitung, 30 avril 2004).

L'Office fédéral de la statistique (OFS) écrit: "En comparaison internationale, la Suisse se place dans le groupe de tête des pays les plus innovants de l'Europe." (23 décembre 2004)

Le déclin de la rentabilité du capital helvétique n'est pas pour demain. Les Führer de l'économie (Wirtschaftsführer) veulent simplement pousser l'avantage. Ils visent à établir des quotas de "cerveaux" bien formés, ailleurs et aux frais du pays d'origine, qui seront "accueillis" en Suisse. Autrement dit, ils veulent stimuler l'exode des cerveaux du tiers-monde. Ce qui contribue à appauvrir les ressources de certains pays de la périphérie.

Les Accords bilatéraux permettent aussi de réduire les taxes d'importation, entre autres pour les produits sous-traités à meilleurs prix dans d'autres pays. [9]

En outre, nos Führer de l'économie souhaitent disposer d'un vaste éventail de main-d'œuvre avec un salaire compressé, que ce soit dans l'industrie, les divers services ou la construction.

Agencer la compétitivité d'une économie capitaliste revient à organiser les conditions optimales de l'extraction de la richesse produite par le travail associé de l'essentiel des salarié·e·s (coopération, de fait, pour produire des travailleurs "manuels" et "intellectuels").

En refusant de voir et comprendre cela, la gauche officielle et les syndicats acceptent l'unité nationale qui se fait à l'avantage des plus forts: les firmes dont le pouvoir économique, donc aussi politique, n'a jamais été aussi concentré et puissant. En plus, elle s'écrase au nom du soutien à l'industrie d'exportation, comme le réclame Vasco Pedrina (Work, 10 décembre 2004).

Cet alignement derrière "notre industrie" qui restructure brutalement doit servir à justifier (au nom des emplois!) le "paquet-cadeau" offert au patronat par les syndicats. En acceptant des mesures d'accompagnement "au rabais", ils ne contribuent pas à préparer le terrain pour une organisation défensive et unifiée des salarié·e·s. Ils laissent le champ libre à la course "à la compétitivité", donc au durcissement des conditions de travail placé sous l'impératif du profit privé. Un tel cadeau syndical n'a pas lieu d'tre.

Un travail fort bien exploité et le silence imposé sur la place de travail

Pour les propagandistes des contre-réformes et pour le patronat, l'objectif d'abaissement des "côuts salariaux" se fait sur une pelouse déjà préparée et entretenue pour le championnat du monde de la compétitivité.

Dans un rapport, pas trop diffusé, le Credit Suisse (Economic Briefing 2004) aligne tous les avantages existant déjà en faveur du grand patronat helvétique.

Les employeurs diffusent des comparaisons internationales de "coûts salariaux" pour tenter de démontrer que ces derniers sont "trop élevés". Ces moyennes ne font pas sens. C'est comme si l'on mettait les pieds de quelqu'un dans un four, la tête dans un réfrigérateur et que l'on plaçait le thermomètre au nombril afin d'établir sa température.

Le revenu d'équivalence (voir plus haut note 3) donne une image socialement bien plus réaliste de la situation.

Deux processus salariaux se sont développés ces dernières années: une stagnation ou recul des salaires dans l'industrie et les services pour l'essentiel des "collaborateurs" et une hausse des salaires pour les cadres élevés du tertiaire (services). Cela a élargi le fossé entre ces cadres et la large majorité des salarié·e·s. Sous cet angle, les moyennes salariales sont encore plus faussées.

Or, c'est précisément pour freiner la hausse des salaires des cadres moyens que le patronat veut importer une main-d'œuvre qualifiée en provenance de l'UE des 25 et aussi un petit quota de spécialistes issus des zones extra-UE. En même temps, les propriétaires de l'économie continueront à augmenter la pression sur les autres salaires, déjà bas, grâce à la concurrence organisée à l'échelle de UE à 25 et en utilisant le chômage.

Enfin, ces moyennes camouflent les revenus effectifs de très nombreuses femmes contraintes d'effectuer un travail à temps partiel, avec un salaire misérable et des heures de travail qui dépassent le temps contractuel, mais qui ne sont toutefois pas rétribuées. Ce type de situation concerne aussi un nombre croissant de travailleurs de plus de 50 ans. Ils ne trouvent, souvent, que ce genre d'emplois… très rentables pour l'employeur, d'autant plus que ces salariés disposent d'une grande expérience qui peut être valorisée à l'avantage de l'employeur, tout en donnant l'impression d'une aide presque humanitaire.

Donc les hauts salaires en Suisse – comparés à ceux de certains pays de l'UE (les concurrents "contre lesquels il faudrait se battre patrons et salariés unis"!) – sont de plus en plus un mythe nourrissant la propagande et les lieux communs journalistiques.

D'autant plus que les calculs comparatifs effectués intègrent pour la Suisse des formes de cotisations sociales du type deuxième pilier [10] (caisses de pension) et ne tiennent pas compte du coût pour les travailleurs des primes de l'assurance maladie.

Un véritable archipel salarial

Il existe un véritable archipel salarial: chaque branche et presque chaque entreprise fixe ses salaires. Il n'y a pas de véritables normes salariales à l'échelle nationale. Une forte fragmentation du système des salaires règne. Dans une même entreprise, dans un même atelier, les salaires à travail équivalent sont différents, pas seulement entre hommes et femmes. Cela facilite la mise en concurrence des salarié·e·s. Le silence sur le salaire est présenté par le patronat comme une obligation de confidentialité.

Imaginons ce qui se passera quand la concurrence entre travailleurs sera encore accrue avec une "libre circulation" dépourvue de règles salariales et de droits syndicaux protégés. Imaginons les divisions, les heurts que cela peut susciter dans une entreprise. Cette désunion profitera aux employeurs qui, déjà, l'utilisent. En outre, à l'opposition construite actuellement entre les "jeunes" et les "plus âgés" s'ajouteront des antagonismes entre salarié·e·s de diverses origines. L'archipel salarial – accepté depuis fort longtemps par plusieurs syndicats, entre autres par la FTMH dont les dirigeants disposent d'un poids décisif dans UNIA – est un pourvoyeur de conflits entre salarié·e·s et de xénophobie

Le temps de travail le plus long de l'Europe

Certes les projets de directives de la Commission européenne prévoient un allongement du temps de travail, ce qui indique le nivellement organisé dans toute l'UE.

En réalité, la Suisse arrive tout juste derrière… la Lituanie et la Lettonie! Ces pays sont placés respectivement au 41e et au 50e rang dans le classement international selon "l'indicateur du développement humain" (IDH) du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD).

Un travail très intense et long, avec une productivité élevée, aboutit à ce que la part des salaires dans chaque unité produite est la plus restreinte possible. Voilà le seul "coût salarial" qui intéresse vraiment les employeurs, car il détermine en grande partie leurs profits.

Ce n'est pas seulement le montant du salaire qui leur importe. C'est ce montant mis en relation avec la quantité de ce qui est produit dans un temps donné (coût salarial unitaire et productivité) [11].

Sur ce terrain, les firmes suisses sont dans le peloton de tête D'autant plus qu'elles opèrent dans des secteurs très spécialisés, c'est-à-dire dans des niches du marché mondial. Là, c'est la compétitivité qualité/spécialisation qui est décisive: type et qualité des produits, délais de livraison, suivi de l'entretien, développement continu du produit, etc. La compétitivité en termes de prix de vente plus bas n'est pas prioritaire pour l'essentiel de l'industrie suisse, même si cela joue un peu sur le taux de marge (profit). Et quand le problème se pose, les firmes utilisent leurs investissements à l'étranger (leurs filiales dans d'autres pays) ou la sous-traitance nationale et internationale pour abaisser le prix de revient d'une pièce donnée ou de produits intermédiaires (composant le produit fini).

Donc, les jérémiades du grand patronat, que l'on ne va cesser d'entendre à l'occasion du vote sur les bilatérales, ont une fonction économique et politique: a) stimuler l'unité nationale et coopter les directions syndicales ainsi que celle du PSS dans cette opération de falsification; tout aussi frauduleuse que les promesses faites par la droite pour le IIe pilier en 1972 et qui avaient reçu l'appui des directions syndicales et du PSS; le bilan est là pour démontrer l'énormité du mensonge; b) maintenir leurs profits et pouvoir distribuer plus de dividendes aux actionnaires.

Le taux d'occupation le plus élevé de l'Europe [12]

La population active, entre 15 et 64 ans, atteint un taux d'occupation de prés de 80%, alors que la moyenne en Europe se situe à hauteur de 65%. La Conférence de Lisbonne de l'UE, en 2000, fixait l'objectif, à moyen terme, d'arriver à un taux d'occupation de 70%, ce qui n'implique pas une baisse du taux de chômage!

La politique de "libre circulation" – circuler librement pour un salarié – impose de disposer d'un emploi. Cela va encore faire monter le taux d'occupation en Suisse. Un taux d'occupation élevé constitue un sérieux avantage pour le patronat. Ce dernier l'utilise pour réduire tout ce qui est du domaine des dépenses sociales (salaire social en réalité) en invoquant la nécessité d'occuper les invalides ou de faire travailler plus longtemps (jusqu'à 67 ans) des personnes qu'on licencie à 58 ans! Le financier Tito Tettamanti, qui pèse au moins 2000 millions de francs – et contrôle 26,2% du Holding SIG et 13,1% d'Ascom – ose affirmer: "Avec le temps, s'est formée [en Suisse] une société des droits sans devoirs, où tout est dû.". (Corriere del Ticino, 1 février 2005). Ainsi, les 553000 pauvres vivant en Suisse, dont plus de 230000 enfants, ont le sentiment que tout leur est dû. Les travailleurs de Saurer qui ont vécu les licenciements dirigés par Tito Tettamanti doivent aussi penser que tout leur était dû!

L'obligation d'accepter un "travail convenable" pour les chômeurs s'inscrit dans cette perspective néo-conservatrice. Mettre au travail une partie des personnes actuellement à l'AI – comme le prévoit Couchepin – répond aussi à cette exigence patronale.

Plus grand sera le nombre de personnes salariées qui travaillent longtemps (durant une année et sur une vie), plus la masse du travail non payé aux salarié·e·s sera volumineuse. Cette dernière est effectivement appropriée par le Capital, sous forme de plus-value et profits [13].

Est-ce cela que veulent les directions du PSS et de l'USS avec leur obsession d'tre les apôtres de la compétitivité suisse (Standort Schweiz)?

La farce de la baisse des prix

Une vaste propagande et une bataille publicitaire se font sur la baisse possible des prix, sous l'effet de la concurrence entre grands distributeurs (Coop, Migros, Denner) et les nouveaux entrants: l'allemand Aldi. Le propriétaire d'Aldi est dans le Conseil d'administration du groupe financier anglais Bunzl qui possède Filtrona à Lausanne (Renens) et l'a restructuré, avant de fermer l'usine!

Il existe une volonté d'un secteur des élites dirigeantes de faire croire que les prix à la consommation sont "incroyablement" élevés et que leur abaissement est un objectif important. Trois pièges sont tendus dans ce qui se veut un raisonnement.

Le premier, dans lequel le président du PS, Hans-Jürg Fehr, est tombé consiste à dire qu'il serait possible de baisser les salaires si cet abaissement se faisait en parallèle d'un abaissement des prix à la consommation (entretien avec Hans-Jürg Fehr dans Finanz und Wirtschaft, 15 décembre 2004). H-J. Fehr pense-t-il que les grands groupes oligopolistiques (contrôle de quelques-uns) qui dominent le marché ne maîtrisent pas, même en concurrence, le calage des prix des produits. En outre, les baisses annoncées de certains produits sont compensées par des hausses des autres, sur lesquels l'attention est moins attirée. De plus, les syndicats disposent-ils d'une position monopolistique qui leur permettrait d'assurer un parallélisme entre la prétendue baisse des prix et celle des salaires? C'est une farce: les syndicats n'arrivent même pas à fixer un salaire minimum dans une branche. Et la propagande patronale dénonce leur position monopolistique! La charité n'oserait même pas se foutre de l'hôpital aussi grossièrement.

Le second est construit autour d'une notion biaisée de la qualité: il y aura des produits de consommation à bas prix mais à qualité moindre pour les salarié·e·s et des biens de consommation plus diversifiés, de qualité supérieure et à prix plus élevés. Un double standard de consommation, plus marqué qu'actuellement, est en train d'tre mis en place. Il se superpose aux différences de revenus plus brutales (inégalités) qui deviennent monnaie courante.

Le troisième est gros comme une montagne. L'essentiel des revenus des salarié·e·s est utilisé pour payer le loyer, les primes d'assurance assurances maladie, les frais scolaires qui vont grimper, l'EMS aux parents âgés, le paiement des intérêts pour le petit crédit usuraire… En quoi, des prix plus bas pour le sucre et les pâtes changeraient-ils quelque chose de significatif? Cela sert simplement à deux opérations vicieuses: a) justifier des blocages de salaires en affirmant que les prix à la consommation n'augmentent pas; b) mettre à mal la position de secteurs semi-artisanaux (garages, petite distribution, épicerie devant ajouter le travail d'un buraliste postal, etc.) qui seront contraints, d'une part, d'abaisser leurs revenus et le salaire de leur employé et, d'autre part, qui grossiront les rangs des chômeurs et chômeuses en cas de faillite.

Voilà la farce de la baisse des prix dont certaines personnalités de la gauche se font les chantres. Incroyable, et pourtant! Nous laissons de côté les salaires des vendeuses de ces grands distributeurs. A Genêve, chez Carrefour, les salaires des vendeuses ne sont pas plus élevés – et même plus bas – qu'à Carrefour France!

Un choc concurrentiel brutal

Mettons face à face lesdits coûts salariaux existant dans le secteur manufacturier des pays nouveaux entrants de l'UE et ceux régnant dans l'UE à 15. Selon le Bureau international du travail (BIT) "au cours des dernières années 1990, en moyenne, ils [coûts salariaux] représentaient moins de 10% des coûts salariaux du pays de l'UE dans lequel ils étaient plus élevés, à savoir l'Allemagne" (Revue Internationale du Travail, vol. 142, 2003, N° 1, p. 9).

Le capitalisme suisse possède un avantage en termes de coût salariaux unitaires sur l'Allemagne. Mais ces chiffres donnent toutefois une idée certaine du choc concurrentiel qui va survenir; même si les salaires dans les pays nouveaux entrants vont un peu augmenter, du moins pour certains secteurs de salarié·e·s.

Ce choc va être canalisé sous deux formes par les grandes firmes. L'une, par l'accroissement des investissements dans ces nouveaux pays (IDE). L'autre, en attirant en Suisse une main-d'œuvre, sans que soit introduite une régulation vers le haut des normes sociales (minima sociaux, salaire minimum) au sein de l'UE à 25; et sans que des droits sociaux et des contraintes légales accrues soient instaurés en Suisse (donc de véritables mesures d'accompagnement).

Dès lors, la politique de flexibilisation du travail et d'austérité va se renforcer. Nous disposons d'un exemple, celui de l'Autriche. La baisse de la part des salaires dans le Revenu National autrichien démontre l'effet de cette double politique (voir graphique ci à côté).

En Suisse, l'offensive du Capital sera du même type. L'hebdomadaire influent, de centre très à droite, Die Weltwoche (N° 51, 2004) consacre un article donnant le ton: il faut laisser la "libéralisation" du marché faire son œuvre car cela facilitera des "réformes de structures" de l'économie suisse: liquider les dernières barrières contractuelles un peu sérieuses. Elle dit tout haut, ce que qu'un secteur du patronat désire, mais, tactiquement, ne veut pas proclamer aujourd'hui. Toutefois, il commence à le faire, comme c'est le cas dans le secteur de la construction à propos du renouvellement de la convention collective. La Weltwoche titre: "Des salaires plus bas ne peuvent que faire du bien à l'économie nationale – plus vite des structures dépassées tombent, mieux cela sera pour la croissance." Voilà la mythologie néo-conservatrice à l'état pur; mais la volonté du capital à l'état brut.

Le résultat est couru d'avance: le dumping social et salarial va se durcir. Le franc suisse comme l'euro fort (les deux face au dollar) seront utilisés comme "argument" pour exiger des sacrifices "raisonnables" afin de soutenir "notre industrie d'exportation".

Et cela même si les exportations suisses vont pour l'essentiel en direction de l'UE, donc vers un espace économique avec lequel le rapport entre devises (franc suisse et euro) est stable.

En outre, un dollar bas permet aux firmes établies en Suisse d'acheter des matières premières (pétrole et produits dérivés, par exemple) et des produits intermédiaires (pièces, métaux, etc.) venant d'Asie et libellés en dollars, donc moins chers, puisque le dollar baisse par rapport au franc suisse.

Il faut le dire et le redire. Le Capital a besoin de légitimer une baisse généralisée du "coût salarial". Pourquoi? Il veut accroître le taux de profit. Il tient à tirer parti des occasions que lui offre l'arrivée sur le marché mondial de régions où les conditions d'extraction de la plus-value sont supérieures. C'est-à-dire où les conditions d'exploitation (salaire, temps de travail, sécurité sociale, droits syndicaux, etc.) sont "meilleures"… pour lui.

Ainsi, le Capital – et les capitaux (firmes) qui constituent son existence concrète – cherche à mettre en concurrence toutes les forces de travail dans le monde.

Les Accords bilatéraux de "libre circulation" entre la Suisse et l'UE à 25, adossés à des mesures d'accompagnement soldées, font partie de ce projet. Il doit être combattu, entre autres en rejetant le "paquet", lors du vote de septembre 2005.

 

Des mesures d'accompagnement soldées, mais dont le prix sera payé par les travailleurs

Il est impossible de débattre sérieusement de la pertinence d'un soutien à ce "strict minimum", selon André Daguet, que constituent les mesures d'accompagnement, sans, tout d'abord, préciser un point essentiel: la faiblesse des droits syndicaux en Suisse.

En 24e position. Qui? La Suisse

Le Bureau international du travail, dans diverses études approfondies, montre que la Suisse du point de vue de la sécurité des représentants syndicaux, du droit à la libre expression sur le lieu de travail ainsi que de la protection contre les licenciements arrive loin derrière des pays comme la Suède, le Danemark, la Finlande, la France, la Norvège, l'Allemagne, les Pays-Bas, la Grande-Bretagne. La Suisse est classée en 25e position selon ces critères de droits sur la place de travail pour chacun et chacune. Autrement dit, l'insécurité est à l'origine d'un stress, d'une crainte intériorisée. C'est un moyen pour le patronat de modeler la "pâte" ouvrière, selon ses bons vouloirs (voir Revue internationale du travail, vol. 142, 2003, N° 2).

Une étude récemment publiée du Wall Street Journal et de la très conservatrice Heritage Foundation – intitulée "Indice de la liberté économique 2005" – place la Suisse en 12e position aux côtés des Etats-Unis, juste aprês quelques pays récemment "libéralisés" à coups de hache, pour ce qui est des "libertés" d'action du capital. Elles portent aussi bien sur la limitation des politiques sociales, sur une politique fiscale en faveur des riches et du capital que sur la flexibilité du marché du travail. Cela confirme d'autres enquêtes faites en 1999 qui montraient que le coût des licenciements et la facilité de les effectuer étaient un des avantages clés des patrons suisses face à leurs "concurrents".

Dit autrement: les conditions de sécurité d'emploi sont déjà très précaires en Suisse. Cela se confirme à chaque retournement de conjoncture. Le licenciement devient une "variable d'ajustement" de plus en plus utilisée à court terme (ajuster les effectifs de salarié·e·s à une demande volatile).

Le Bureau international du travail (BIT) condamne la Suisse et l'OCDE  la met au pas

Le Comité de la liberté syndicale de l'Organisation internationale du Travail (OIT), suite à une plainte de l'Union syndicale suisse (USS), a jugé que la Suisse viole le droit international en ne protégeant pas suffisamment pas la liberté syndicale. Selon les principes de l'OIT (Convention 98, qui fait partie des Principes et droits fondamentaux au travail), la possibilité d'annuler des licenciements antisyndicaux est seule susceptible de garantir la liberté syndicale. Or, elle n'existe pas.

La réintégration d'un délégué syndical dans un restaurant français, Café Ruc (prés de la Comédie française) a été un événement en juillet 2004: "Ça me fait frissonner, confiait tout émue une jeune employée d'une entreprise de nettoyage venue assister à la reprise du travail du jeune délégué de la CGT réintégré par décision de la Cour d'appel de Paris.". (L'Humanité, 30 juillet 2004). Voilà l'effet boule de neige que peut avoir une telle victoire. C'est très important pour l'action syndicale.

L'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), connue pour ses orientations néo-conservatrices (n'avait-elle pas élaboré le célèbre AMI – Accord multilatéral sur les investissements), a de même condamné, à sa façon, la Suisse. Ici, l'hôpital ne se moque pas de la maladie.

Le seco a dû publier les "recommandations de l'OCDE" le 1er février 2005. Le groupe de travail de l'OCDE exige de la Suisse d'"examiner les moyens d'assurer une protection effective des personnes collaborant avec la justice, notamment des travailleurs qui révèlent de bonne foi des faits suspects de corruption de façon à encourager ces personnes de les signaler sans crainte de représailles de licenciement". L'OCDE ne fait pas exactement dans le droit du travail. Mais elle est consciente que le silence imposé – particulièrement dans le secteur bancaire, mais aussi dans les firmes helvétiques passant des contrats avec divers pays – empêche une personne de communiquer à la justice des faits de corruption dont elle a connaissance. Si elle le fait, son emploi est mis en question. Ce qui veut dire son "avenir économique", car cette personne sera, par la suite, sur une liste noire.

Or, avec l'accord de Schengen/Dublin, la Suisse prétend lutter contre la grande criminalité! En la matière, le Conseil fédéral fait du cul-par-dessus-tête. Il encourage le silence face à des actes délictueux ou pouvant l'tre. Mais, le Conseil fédéral dit combattre les criminels et demandeurs d'asile. L'hypocrisie institutionnelle va jusqu'à faire de l'omission un petit mensonge gouvernemental. Le seco, dans son communiqué de presse, fait silence sur cette recommandation, en la dissimulant derrière l'adverbe notamment. Le mensonge par omission est une pratique courante, bien que ce soit pire qu'un mensonge. Couchepin le sait fort bien, lui qui connaît le fonctionnement de l'appareil de l'Eglise catholique en Valais.

Il y a un parallèleévident entre le manque de protection des délégués syndicaux, des syndicalistes dans les entreprises, et les mesures répressives prises à l'encontre de ceux et celles pouvant dénoncer des actes de corruption commis par une firme afin d'obtenir des marchés ou faire des opérations financières douteuses.

Un Congrès… renié

Les directions de l'USS et d'UNIA s'asseyent sur des décisions prises à l'unanimité par la plus haute instance syndicale: un Congrès En octobre 2002, le Congrès de l'Union syndicale suisse (USS) réaffirmait la nécessité du renforcement de la protection contre les licenciements. Il en faisait, à juste titre: "la pierre angulaire de l'amélioration de la protection des travailleuses et des travailleurs dans ce pays". Pour éviter une formule abstraite, le Congrès adoptait l'énoncé suivant: "Il est indigne et intolérable qu'une personne puisse être licenciée sans entretien ni préavis aprês 25 ans de travail, parce qu'elle a subi deux opérations à l'épaule!… Il est inacceptable qu'une travailleuse ou un travailleur puisse être licencié sous n'importe quel prétexte. Tout licenciement ne reposant pas sur un motif justifié doit pouvoir être annulé." Le BIT, malgré les précautions de langage liées à sa structure tripartite (syndicats, employeurs, Etat), adopte, sur le fond, ce point de vue s'agissant des mesures antisyndicales.

En novembre 2003, l'USS écrivait: "Adaptation du droit du travail:… il faut renforcer la protection contre le licenciement des représentant·e·s élus des travailleuses et des travailleurs, car les commissions tripartites vont dépendre des renseignements que leur fourniront les représentant·e·s du personnel. Mais tant que les membres des commissions d'entreprise ne seront que très mal protégés contre les licenciements, il est irréaliste de croire à l'efficacité des contrôles des conditions de travail."

Comment est-il possible que le mouvement syndical (USS comme Travail. Suisse) n'ait pas utilisé la conjoncture des négociations bilatérales sur la libre circulation pour imposer ces revendications élémentaires, relevant des droits fondamentaux de la personne humaine? Comment est-il possible que les dirigeants syndicaux n'aient pas fait d'une telle revendication, avec ses modalités d'application, une condition sine qua non de leur appui à la libre circulation?

Ils ont accepté de séparer ce que la Déclaration universelle des droits de l'Homme unit, car ce sont des droits fondamentaux qui ne peuvent être débités en tranches. Le droit à une circulation des salarié·e·s véritablement libre n'existe, de fait, qu'associé aux droits syndicaux et sociaux. Ce d'autant plus qu'il y a unanimité pour reconnaître que cette libre circulation est introduite dans une période non seulement de chômage persistant, mais d'atteintes déterminées aux droits des salarié·e·s [14].

Tous les jours, les syndicats et y compris la presse dénoncent des cas de dumping social et syndical. Le Corriere del Ticino rapporte les dires d'UNIA qui organise un mouvement de protestation devant une fabrique d'horlogerie: "Ce secteur au Tessin est devenu une terre appartenant à personne, où tout abus devient licite." Le quotidien continue: "Les salaires horaire inférieurs à 12 francs sont la règle, les horaires de travail journalier dépassent le maximum de 8 heures, le 13e mois souvent n'est pas payé, les abus frappent les ouvriers frontaliers et les travailleurs détachés provenant de presque toute l'Union européenne." (2 février 2005)

En outre, "les indemnités et suppléments dus [à des travailleurs] ne sont pas reconnus pour un travailleur placé par une agence d'emploi intérimaire, cela pour l'équivalent d'un montant d'un peu prés 25% du salaire". Le représentant d'UNIA déclare: "Quant à la sous-traitance, c'est malheureusement l'avenir dans de nombreux secteurs."

Des exemples identiques ont été à multiples reprises diffusés par la presse suisse alémanique, informée, en partie, par des responsables syndicaux tels que Vasco Pedrina, qui connaît bien la situation zurichoise. Sur ce plan, entre le Tessin et Zurich, la détérioration des conditions est analogue. Le coprésident d'UNIA est bien placé pour le savoir.

L'argument selon laquelle des mesures plus contraignantes stimuleraient l'arrivée de clandestins participe de la jonglerie qui aboutit à recevoir le boulet sur son pied. Tout d'abord, les accords de Schengen-Dublin, vont servir de fabrique à "clandestins", "illégaux". Un référendum de gauche aurait été nécessaire. Nous l'avons dit. Ensuite, la logique cette argumentation est la suivante: il faut déréguler et niveler par le bas les droits des travailleurs et travailleuses afin que "l'offre" et "la demande" "pures" sur un marché du travail fluide fonctionnent. C'est le même raisonnement des économistes néo-classique qui affirment que ceux qui occupent un poste de travail empêchent d'autres, prêts à travailler pour un salaire inférieur, de le prendre. Enfin, pour ce qui est des conditions des travailleurs immigrés travaillant en Suisse rien ne changera au plan juridique avec un refus des "mesures d'accompagnement". Au contraire, si celles-ci passent comme elles le sont actuellement, ils paieront le prix de la déréglementation (en réalité de la reréglementation libéralisée à l'extrême) du dit marché du travail.

Pour lutter contre ces pratiques antisyndicales

Une condition au moins doit être réunie: assurer à toutes celles et tous ceux qui les dénoncent une protection contre les licenciements. Ce sont les salarié·e·s qui représentent la source la plus sûre et la mieux informée sur ces pratiques patronales qui ne cesseront de s'étendre dans les années à venir. Les mesures d'accompagnement s'appuient largement sur les CCT (conventions collectives de travail). Pour se concrétiser, elles doivent pouvoir compter sur l'appui des salarié·e·s dans les entreprises et les bureaux. Mme au rabais, de telles mesures d'accompagnement sans protection contre les licenciements ne seront qu'un simple texte déchiré par le contexte social, économique et politique.

Le Conseil fédéral va jouer la montre face aux remontrances courtoises du BIT et de l'OCDE. Il a proposé une commission d'étude qui devra, dans un premier temps, décider si oui ou non il faut modifier la législation suisse pour répondre aux recommandations du BIT. Les autorités vont certainement conclure que cela n'est pas véritablement nécessaire. Pendant ce temps, les dirigeants de l'USS seront chouchoutés dans une commission et ne verront pas l'horloge tourner alors que les salarié·e·s ont l'œil fixé sur le chronomètre pour terminer, tous les jours, la charge de travail qui leur est imposée. Manifestement, le temps de certains dirigeants syndicaux n'est pas mesuré avec le même instrument que le temps de travail sur un chantier ou dans une usine. Dans le meilleur des cas, le Conseil fédéral fera une proposition au Parlement qui sera refusée par la majorité de droite qui a voté "les mesures d'accompagnement". Entre-temps, le "souverain" aura été trompé…

Aprês une consultation tirée en longueur, la conclusion sera que de lents progrès sont en cours. Un Congrès syndical futur pondra une résolution demandant une accélération d'un progrès aussi proche qu'un mirage saharien. Ici, deux mondes ne se rencontrent pas: celui des commissions fédérales extraparlementaires et parlementaires, celui des commissions d'entreprise quand elles ont la possibilité d'agir car ne craignant pas trop la répression ou parce que la situation est intenable (comme à Swissmetal ou à Filtrona).

Ignorer les décisions de son propre Congrès et présenter un plat de lentilles comme un rôti du dimanche relève de la tromperie et du non-respect des décisions démocratiques des plus hautes instances d'un syndicat. Renoncer à faire de la protection contre les licenciements des syndicalistes et des travailleurs une condition incontournable pour toute acceptation d'un accord sur la libre circulation est un reniement qui couronne beaucoup d'abandons, de concessions.

Rejeter le paquet relève donc de la défense de la dignité et de l'esprit d'un syndicalisme traduisant les besoins les plus fondamentaux des salarié·e·s.

 

Des "mesures d'accompagnements" dont l'inefficacité est pratiquement enregistrée, mais que l'USS défend aux côtés des employeurs qui déchirent les conventions collectives!

Est-ce une plaisanterie? Ou bien une forfaiture, une déloyauté envers les travailleurs de la part des sommets syndicaux et des gouvernants du Parti socialiste suisse? Passons en revue les mesures d'accompagnement.

Les premières mesures d'accompagnement

Votées en 1999 avec les Bilatérales 1 et entrées en vigueur en 2004, elles sont vite apparues comme un tonneau percé. D'ailleurs les dirigeants de l'USS et la future centrale syndicale UNIA (entre autres le SIB) ont dû le reconnaître assez vite.

Il n'a pas fallu attendre juin 2004 pour voir se développer une "importation de travailleurs à bon marché" qui, le temps passant, établissent des références "acceptables" pour des nouveaux salarié·e·s pas informés et ligotés par la pression du chômage ainsi que par des salaires dérisoires dans leur pays…

Or, avant juin 2004, il y avait encore des "contrôles", selon la réglementation de l'OLE (Ordonnance sur la limitation des étrangers). En aucune mesure cette solution n'était idéale. Elle faisait même partie des nombreux mécanismes qui nourrissaient le lien entre contrôle et une certaine xénophobie. Mais, il ne faut rien connaître à la situation réelle sur les lieux de travail pour ne pas comprendre que des travailleurs – y compris frontaliers ou temporaires engagés par une entreprise suisse – voyaient ce contrôle comme une sorte de "protection".

La raison en était simple: l'absence, sur l'essentiel des lieux de travail en Suisse, d'une présence syndicale faisait de ces "contrôles" une sorte d'assurance. Certes, pas un droit obtenu par les travailleurs et travailleuses grâce à l'instauration d'un rapport de forces, d'une capacité collective à faire respecter leur dignité sur le lieu de travail.

Pourtant, ces "contrôles" pouvaient déjà être détournés. Ils l'étaient. Il était possible, par exemple, de déclarer un salaire minimal usuel aux autorités et de verser un autre salaire, plus bas, au salarié ignorant la norme salariale. Il était aussi possible de ne pas mettre la qualification exacte de la personne engagée, ce qui permet d'indiquer un salaire nettement en dessous du salaire usuel pour cette qualification et de payer au rabais le salarié en question.

De plus, pour un salarié envoyé par une firme de travail temporaire allemande travailler en Suisse, il était (et est) des plus difficile de "contrôler" sa fiche de salaire allemande et de la comparer à une fiche de salaire suisse (en tenant compte des cotisations sociales, des parts du 13e salaire, des jours fériés). Sans cette possibilité, comment affirmer qu'il y avait équivalence salariale par rapport au salaire d'usage dans la branche de la région? Car, faut-il le rappeler, il n'y pas de salaires fixés nationalement. Les quelques exceptions sont en voie d'extinction. C'est un facteur de plus pour permettre à la concurrence entre salarié·e·s qui sont établis et s'établiront en Suisse de jouer à fond, avec les effets que nous avons déjà décrits.

Dès juin 2004, les dirigeants syndicaux sonnent plus fort le tocsin… puis lâchent la corde

L'eau est déjà haute. Le premier étage est inondé. Rien d'étonnant, l'accélération des pratiques de dumping salarial s'est effectuée avec la suppression des anciennes structures de contrôle. En outre, dans les cantons où existaient des structures tripartites (syndicat, patronat, Etat) pour exercer un certain "contrôle" (Genêve, Tessin, Bâle), l'inondation est aussi forte que dans les cantons où elles n'existent pas. Un enjeu: l'utilisation du travail de courte durée (temporaire polonais en Suisse) ou de salarié·e·s détachés par une firme allemande envoyés à une firme suisse.

Les dirigeants d'UNIA et de l'USS crient et menacent de ne "rien faire pour défendre les accords bilatéraux". Cela suscite diverses remarques ironiques de la presse du type: "l'inaction syndicale comme stratégie de pression"!

Les révélations de la presse sont si éclatantes que faire le sourd et le sourd-muet est intenable. Un nombre croissant de salarié·e·s se rendent compte du problème, qu'ils soient suisses ou immigrés. Dans le secteur de la construction, depuis le 1er juin 2004, ont été présentés 3200 contrats de travailleurs détachés (loués par une firme de l'UE à une entreprise maître d'œuvre suisse). Seuls 250 ont pu être vérifiés, soit 7%!

Sur ces 250 annonces vérifiées, plus de 40% contenaient des violations des dispositions légales qui ne sont pourtant pas d'une grande rigueur. Et cela se produit dans un secteur où la présence des syndicats (UNIA, ex-SIB) est encore relativement plus forte qu'ailleurs.

Sans entrer dans le détail, le contournement des dispositions est assez aisé. Par exemple, pour une entreprise venant travailler en Suisse comme sous-traitant d'une entreprise helvétique, une demande est envoyée – à partir d'un formulaire standard – au seco cantonal (Office du travail, etc.). Dès que la demande est envoyée, les travailleurs peuvent commencer à travailler. Mais encore faut-il que les données soient exactes, que la vérification puisse se faire ou veuille bien être faite.

Car au simple plan administratif, ces bureaux connaissent la compression du personnel, tant réclamée par la droite, l'UDC de Blocher en tête Elle qui aligne, sans difficulté, tous les autres partis sur ses positions dans ce domaine. Si le salaire de ces salariés est de 15 francs inférieur au salaire de base en vigueur en Suisse, la part du 13e mois sera aussi calculée en relation avec ce salaire soldé, le paiement des jours fériés de même, les vacances payées de même. C'est un dumping normalisé qui prend lentement forme.

Rappelons-nous: quand les heures supplémentaires ont commencé à n'tre plus payées, mais remplacées par des "jours de congé" lorsque cela convenait à l'employeur, beaucoup pensaient que ces cas resteraient exceptionnels. Aujourd'hui c'est la règle pour quelque 70% des heures supplémentaires. La dégradation des conditions de travail et de salaire s'effectue très souvent avec la tactique de la coupe du salami: tranche aprês tranche.

Si une entreprise établie en Suisse de travail temporaire veut faire venir un travailleur temporaire, elle effectue la demande avec le formulaire standard. Elle peut déclarer que le contrat sera passé avec l'entreprise X ou Y. Et lors de son arrivée, le travailleur allemand ou letton (Lettonie) va travailler dans une autre entreprise. En outre, une fois la demande faite auprès de l'autorité, le salarié peut venir, de suite, en Suisse. La "vérification" des conditions d'emploi et de salaire se fera, a posteriori, si elle se fait.

On a là quelques indications sur les multiples possibilités – largement utilisées comme les premières données chiffrées le démontrent – pour des employeurs de contourner des exigences pourtant minimales. Cela, dans un pays où la crainte d'tre licencié est diffuse, pour des raisons concrètes reconnues et dénoncées par le BIT.

On vit dans un monde extraordinaire…

Un patronat offensif va sauver les syndicats du naufrage. Vasco Pedrina reconnaît qu'il "s'agit là [mesures d'accompagnement] d'un minimum et il faudra que tout soit mis en œuvre, ce dont je ne suis pas sûr" (Le Temps, 9 octobre 2004). Il espère que le patronat et le Conseil fédéral marqueront leur sympathie pour les salarié·e·s. En février 2005, la direction d'UNIA continue à déposer ses espoirs dans les mains du Conseil fédéral et des représentants du patronat: "Joseph Deiss comme Peter Hasler sont exonérés de tout reproche par les syndicalistes". Quant au directeur de l'Union patronale [Peter Hasler], "il s'engage de manière correcte pour l'application des mesures d'accompagnement", convient UNIA (Le Temps, 2 février 2005).

Comme à chaque échéance sociale et économique importante, les responsables syndicaux concentrent leur effort pour trier le bon grain de l'ivraie. Selon eux, il y a d'un côté une fraction du patronat qui joue le jeu; il y a de l'autre celle qui est influencée par l'UDC ou l'USAM (Union suisse des arts et métiers). Trois remarques à ce propos.

a) Hasler a rassuré tout le patronat sur un point: les mesures d'accompagnement ne lui coûteront rien. Traduisez: la politique de flexibilisation pourra se perpétuer et se durcir.

b) Joseph Deiss, au nom du Conseil fédéral, a souligné que la flexibilité était gagnante.

c) L'ensemble du patronat, dans le cadre d'une concurrence intensifiée entre grandes firmes et entre capitaux, va répercuter le prix de cette concurrence sur les salarié·e·s, pour maintenir ses taux de profit, sans quoi faillites ou rachats les attendent. La vraie question n'est donc pas de savoir si une fraction ou une autre du patronat a une politique substantiellement différente.

Certes, dans la construction, la bataille est ouverte. La raison en est simple. La Société suisse des entrepreneurs (SSE) veut vider de tout contenu la future convention collective de travail (CCT), l'une des rares qui contient des règles valables à l'échelle nationale. La SSE le fait aprês qu'ont été suspendues deux très anciennes CCT qui avaient un contenu supérieur au Code des obligations et une validité plus ou moins nationale: celles des plâtriers-peintes et celle des menuisiers.

Le président de la SSE, Werner Messmer, est un radical de Thurgovie. Il a voté au Parlement les mesures d'accompagnement. Au même moment, dans la perspective des négociations de la CCT de la construction, il propose: a) que le temps de travail ne soit indiqué qu'en termes de total annuel; b) que le travail du samedi puisse être totalement dérégulé; c) que les salaires soient payés sur la base de la fonction et non pas des titres et qualifications obtenus, ce qui permet d'abaisser le salaire d'entrée dans une profession ou d'utiliser un travailleur allemand ou lituanien, très qualifié, à une fonction formellement définie comme correspondant à un salaire bas; d) que l'assurance perte de gain ne sera plus obligatoire, etc.

Un point central de la faiblesse structurelle des mesures d'accompagnement

Au mieux, les mesures d'accompagnement s'adossent à des contrats collectifs étendus, c'est-à-dire auxquels l'Etat confère force de loi à la demande des parties (patronat-syndicat). Or, les CCT, lorsqu'elles existent, sont mises à mal.

Par exemple, les plâtriers-peintres de Suisse alémanique et du Tessin, les menuisiers et les charpentiers sont hors contrat (suspension de la CCT), car le patronat n'est pas prêt à faire la plus petite concession. Il exige un recul, il propose des contrats proches des exigences légales minimales ayant pour référence le Code des obligations, la Loi sur le travail trouée comme de l'Emmental, cela arrosé d'une baisse des salaires.

En sus, la suspension des contrats entraîne l'élimination des commissions paritaires d'arbitrage et de contrôle, commissions particulièrement douées pour faire du surplace. Certes, quelquefois, par gain de tranquillité, elles prenaient une décision favorable au respect du contrat, rien de plus rien de moins.

De plus, comme le souligne avec discernement l'actuel conseiller d'Etat social-démocrate du canton de Vaud Pierre-Yves Maillard – ancien secrétaire d'UNIA: "La moitié des travailleurs ne sont en outre protégés par aucune convention collective. Celle de l'industrie des machines ne fixe même pas des salaires minimums." (24 heures, 2-3 octobre 2004)

Il n'est pas nécessaire d'avoir une vue très pénétrante pour constater que les mesures d'accompagnement s'appuient sur une jambe fêlée (CCT vides ou suspendues) et sur une jambe manquante (CCT non existantes). De plus, si "la bonne foi" pour appliquer les mesures d'accompagnement telles qu'elles sont existait, ces dernières ne seraient pas nécessaires. En effet, pourquoi des contrats collectifs solides, voulus et appliqués par les deux parties contractantes, auraient-ils besoin d'tre vérifiés, sous toutes leurs coutures, par des inspecteurs en broderie?

La seule mesure d'accompagnement sérieuse résiderait dans des contrats collectifs solides, voulus et contrôlés par les salarié·e·s, parce que capables d'en débattre et libres de s'organiser (c'est-à-dire protégés contre les licenciements anti-syndicaux).

Une équipe qui joue à 8 et téléphone toutes ses passes

C'est l'équipe des inspecteurs des mesures d'accompagnement. Le second pilier des mesures d'accompagnement, ce sont les inspecteurs. Dès le 1er juin ont été annoncés environ 40000 travailleurs détachés ou de courte durée. En rapportant à l'ensemble des branches économiques la statistique valable pour la construction (3200 annonces de contrats, 250 vérifiés, soit 7%, et 40% d'entre eux violant les dispositions légales), on arrive à un résultat assez intéressant. Sur les 40000, il y aurait au maximum 2800 contrôles. Autant dire que ce n'est même pas la pointe de l'iceberg qui est photographiée. C'est un morceau de glace à la dérive, avec un pingouin qui s'y accroche et que les sommités syndicales considèrent être les terres de l'Antarctique.

Les dirigeants syndicaux et les représentants du PSS vantent et vendent un modèle, celui de Bâle-Campagne, un petit canton frontalier. L'inspectorat dans ce canton est fort de 25 unités. Si cette task force – pour reprendre la formule de Joseph Deiss qui a enchanté le conseil d'administration d'UNIA – est efficace, ce qui reste à démontrer, une solution coule de source. Il faudrait au moins 800 inspecteurs et non pas 150 comme prévu. En outre, les quelques millions alloués aux cantons, pour une année, devront être renouvelés par vote des Chambres régulièrement. C'est ce qu'on appelle une garantie. En effet, on connaît la détermination antisociale de la majorité bourgeoise des Chambres, à laquelle le Conseil fédéral alloue la tâche de limer encore plus ses projets, pour ne pas devoir lui-même – publiquement et collégialement – tirer les marrons du feu.

De très nombreux salarié·e·s manifestent une défiance face à l'inspection du travail ou de la SUVA (Caisse nationale d'accident). Ils savent que l'inspection du travail ou de la SUVA fonctionne sur le modèle: avant l'inspection du colonel, tout doit être en ordre dans la caserne, et les plis du pantalon repassés.

Autrement dit, deux semaines avant l'arrivée de l'inspection du travail, les systèmes de sécurité sont remis sur les machines; les systèmes d'aération ne fonctionnant pas, brièvement, réinjectent à nouveau de l'air vicié; les produits rendant le sol glissant sont nettoyés, etc.

La Convention sur l'inspection du travail de 1947 (Convention 81 adoptée à Genêve) indique à l'art. 10 que "le nombre des inspecteurs du travail sera suffisant pour permettre d'assurer l'exercice efficace des fonctions du service d'inspection et sera fixé en tenant compte: a) de l'importance des tâches que les inspecteurs auront à accomplir et notamment: du nombre, de la nature, de l'importance et de la situation des établissements assujettis au contrôle de l'inspection; du nombre et de la diversité des catégories de travailleurs qui sont occupés dans ces établissements; du nombre et de la complexité des dispositions légales dont l'application doit être assurée". A l'art. 12, il est précisé que "les inspecteurs du travail… seront autorisés: a) à pénétrer librement sans avertissement préalable à toute heure du jour ou de la nuit dans tout établissement assujetti au contrôle de l'inspection; b) à pénétrer de jour dans tous les locaux qu'ils peuvent avoir un motif raisonnable de supposer être assujettis au contrôle de l'inspection; c) de procéder à tous examens, contrôles ou enquêtes jugés nécessaires pour s'assurer que les dispositions légales sont effectivement observées".

Ces seules mentions de la Convention 81 démontrent qu'utiliser le terme d'inspecteur, c'est-à-dire quelqu'un qui scrute dans le détail ce qui se passe, relève de la tromperie et de l'abus répété de langage.

 

Des propositions qui répondent aux besoins de toutes et tous! Installer des bras de levier qui facilitent une résistance et une riposte sur le lieu de travail et en dehors!

Des lois protégeant: celles et ceux qui osent montrer du doigt des pratiques inacceptables des employeurs; celles et ceux qui s'organisent face à "l'abus permanent" et aux "abus répétés" liés aux pratiques patronales de l'époque. Un NON, en septembre 2005, peut ouvrir la voie à des conquêtes nouvelles, même limitées.

Le débat pourra s'ouvrir, comme dans divers pays de l'UE, pour combattre la flexibilisation du travail et instaurer des Codes du travail (Loi du travail) qui correspondent aux besoins et exigences des salarié·e·s dans une économie mondialisée dans laquelle tous sont mis en concurrence contre tous.

Le besoin d'une riposte unitaire

Dans un contexte de régression sociale organisée à l'échelle internationale et, en particulier, dans l'UE à 25, le besoin d'une riposte unitaire, directe, sur le terrain, de l'ensemble des salarié·e·s se fait de plus en plus évident. On pourrait parler d'une nécessité d'une riposte pensée et organisée.

Pour la motiver, il suffit de prendre au sérieux les affirmations de Jean-Daniel Gerber, secrétaire d'Etat à l'économie (seco). Il proclame: "Sans réformes, la Suisse pourrait passer durant les deux prochaines décennies du 4e rang au 20e rang mondial pour le revenu par habitant." (Le Temps, 10 décembre 2004)

Tout d'abord, la méthode du catastrophisme est classiquement utilisée par Blocher comme par le Conseil fédéral pour faire passer les contre-réformes et non pas les réformes favorables aux salarié·e·s.

Ensuite, si le revenu par habitant va baisser, il est certain que ce serait le résultat final de l'augmentation du revenu d'une couche minoritaire et de la réduction du revenu d'une majorité de salarié·e·s. Il faut dénoncer le catastrophisme pour le capitalisme suisse de Gerber – qui est aussi sérieux que les prédictions du bureau politique du Parti communiste d'Union soviétique sur la crise générale du capitalisme, en 1955! – mais prendre au sérieux son chantage visant à faire passer les contre-réformes comme une nécessité naturelle.

Enfin, Gerber inscrit le programme gouvernemental sur la longue durée, c'est-à-dire qu'il traduit une vraie volonté de bouleversement social régressif. Ceux qui croient à la fin d'une guerre sociale – comme certains sociaux-démocrates et syndicalistes – confondent une déclaration de trêve avec une vraie trêve, pour ne même pas parler d'une paix.

Le sentiment diffus d'une riposte – sentiment qui se heurte, souvent, à la difficulté d'en imaginer les voies et la forme – va de pair avec des bribes d'une nouvelle critique du système capitaliste.

Les aspects destructifs de ce système apparaissent de plus en plus

Au plan écologique, cela relève d'une évidence. Au plan de la santé des salarié·e·s, les effets dévastateurs sont là: souffrance au travail, dépression, maladies gastriques, mal de dos, etc. Ce ne sont pas les tirades de Blocher sur lesdits "travailleurs étrangers simulateurs" et lesdits "faux invalides" qui démentiront les faits. L'étude "Travail et santé" [15] publiée par l'OFS (Office fédéral de la statistique) en juillet 2003 est là pour confirmer l'ampleur des dégâts. La déstabilisation des salarié·e·s stables grâce à la suppression du statut de fonctionnaire avait pour but de précariser l'ensemble des salarié·e·s tout en cherchant à opposer un secteur (les fonctionnaires) à un autre secteur (les salarié·e·s du privé). Aujourd'hui, le résultat est là. Ils sont jetables comme les autres travailleurs. Etre jetable devrait être accepté comme normal. C'est ce que voulaient ceux qui se sont battus bec et ongles pour la suppression du statut des fonctionnaires (introduction de la LPers). Or, aucun salarié ne doit être jetable. Le prix payé par les fonctionnaires licenciés se comptent en milliers d'invalides bien réels, n'en déplaise à Couchepin et Blocher. Comme à ceux qui préparent la nouvelle charrette de licenciements dans l'ensemble des administrations, le conseiller fédéral radical Hans-Rudolf Merz en tête

Le travail, ce n'est pas obligatoirement la santé. Ou, plus exactement, le travail ce n'est plus la santé. Pourtant, le travail reste – pour la très grande majorité de la population – non seulement un besoin économique (pour vivre dans cette société) mais un besoin social: établir des liens avec d'autres, utiliser ses capacités et son intelligence afin de créer quelque chose.

Toutefois, aujourd'hui, sous la pression de la rentabilité, l'essentiel des personnes ne voient plus le bout et le sens de leur acte. C'est aussi une des raisons de leur mal-tre, largement utilisé par les publicitaires des grandes firmes de consommation. Un grand économiste, très conservateur, Joseph Schumpeter, parlait au cours des années 1930 de la "destruction créatrice" du Capital. Aujourd'hui, l'on pourrait parler de la production destructrice – de l'environnement et des très humains – du Capital.

Un fait nouveau se profile

En Suisse, des salarié·e·s engagent des luttes, des mobilisations, y compris des grèves, comme dernièrement à Swissmetal, à Filtrona ou à Printpark ARO AG. La grève – un acte d'autodéfense – n'est plus considérée comme un crime de désempares ou une atteinte au patron souverain. "Faire grève", se défendre est considéré, par un nombre croissant de salarié·e·s, comme normal. Malgré toutes les difficultés que chaque lutte rencontre.

Face à cette nouveauté dans le paysage social suisse, la droite, même dite libérale, réagit vite. Ainsi, dans la bible quotidienne zurichoise, la Neue Zürcher Zeitung (NZZ), le professeur bâlois Frank Vischer, citant les cas de La Poste, de Swissmetal et de Filtrona, introduit l'argument d'une prétendue incertitude sur les limites du droit de grève Il n'y a pas d'incertitude sur les limites du taux d'exploitation, si ce n'est la capacité des salarié·e·s d'y résister. La seule incertitude sur le droit de grève réside dans la volonté et la capacité du patronat et de la bourgeoisie de porter atteinte à ce droit fondamental. D'où l'importance d'une bataille élémentaire, relevant des droits de la personne humaine, de la protection des syndicalistes, des délégués syndicaux et des salarié·e·s contre les licenciements anti-syndicaux. Car, la possibilité d'engager avec plus de sécurité des luttes dépend en partie de la liberté d'action et d'expression sur le lieu de travail.

La libre circulation des personnes (des salarié·e·s avant tout au plan quantitatif) à l'échelle de l'UE des 15, puis de l'UE des 25, impose logiquement et physiologiquement de faire le point sur les droits sociaux et salariaux de tous les travailleuses et travailleurs. En effet, tous étaient (sont?) conscients qu'un nouveau chapitre s'ouvrait avec la libéralisation du marché du travail, non seulement en Suisse mais à l'échelle internationale. Il y avait – et il y a – donc là l'occasion de lancer un vaste débat, pouvant déboucher sur un long travail: afin d'organiser la solidarité entre salarié·e·s; afin de pouvoir conquérir des espaces de droits, d'activités syndicales; afin de faire valoir des revendications. Une telle orientation syndicale partait d'une compréhension de la réalité sociale et économique d'ensemble et non pas d'un jugement sur l'amabilité, ou non, d'un patron particulier.

Quelques revendications simples devaient et doivent être avancées

Elles pouvaient être conquises, car l'état d'esprit des salarié·e·s, depuis trois, quatre ans, commençait à changer. En ne menant pas un travail d'explication critique du système capitaliste, d'affrontement politique dur et réaliste, une voie royale était laissée ouverte à Blocher et à la droite nationaliste. Ces revendications peuvent être énumérées ainsi.

1° Dans toutes les entreprises de plus de 10 employés, les inspecteurs du travail doivent avoir accès aux locaux et aux pièces justificatives en tout temps et sans préavis. Leur statut et leurs conditions de service doivent leur assurer la stabilité dans l'emploi et les rendre indépendants de tout changement de gouvernement (composition du gouvernement cantonal) et de toute influence extérieure indue. Ils doivent disposer d'une formation, surtout juridique, appropriée. Ils doivent disposer des moyens matériels suffisants et pourront s'assurer la collaboration d'experts et de techniciens dûment qualifiés. Un objectif de 800 inspecteurs, pour l'ensemble de la Suisse, constitue un minimum face aux bouleversements à venir.

2° Les employeurs doivent avoir l'obligation d'annoncer automatiquement – avec publication dans la Feuille fédérale électronique – les salaires et les qualifications de toute personne nouvellement engagée. Pour respecter la sphère privée des personnes, les noms de ces salarié·e·s ne doivent être communiqués qu'aux commissions tripartites. Les organisations syndicales disposeront ainsi d'une base de données leur permettant d'agir de manière préventive et d'organiser, si nécessaire, une campagne de dénonciation, de conscientisation des travailleurs de l'entreprise, de la branche, à l'échelle régionale et même nationale. L'exemple donné par des syndicalistes de Genêve à l'occasion des abus en termes de salaire et de temps de travail constatés à Palexpo est à suivre. Il y a eu, là, une combinaison entre dénonciation, démonstration publique avec effet sur la conscience des salarié·e·s en général et mobilisation des travailleurs directement touchés.

3° Dans les branches sans convention collective (CCT), un contrat type de travail contraignant, prévoyant des salaires minimaux et des horaires astreignants, doit être rendu obligatoire à titre préventif. En effet, très souvent, soit la constatation d'un dit abus intervient tard, soit elle n'intervient pas, ce qui statistiquement risque d'être le plus courant.

4° L'extension du champ d'application des CCT – c'est-à-dire lorsque l'Etat confère force de loi à la CCT – doit pouvoir être exigée par les seuls travailleurs organisés dans un syndicat. Actuellement, il faut – même en cas d'abus – que la CCT couvre au moins le 50% des travailleurs de la branche. En outre, l'accord des patrons est exigé. Ces deux conditions doivent être supprimées. D'une part, les patrons traînent les pieds, même lorsque les CCT sont peu contraignantes. D'autre part, il n'y a aucune raison d'exiger un quorum de 50% pour obtenir l'extension du champ d'application des CCT. Faudrait-il attendre que 50% des automobilistes dépassent le 140 à l'heure sur l'autoroute pour mettre la première amende?

5° Une véritable protection contre le licenciement des représentants des salarié·e·s, de tous les syndicalistes et, plus généralement, des salarié·e·s doit être mise en place de façon urgente. La remontrance adressée à la Suisse par le BIT doit servir aux syndicats pour mener une campagne en faveur d'un programme d'urgence de défense des droits syndicaux sur le lieu de travail. Comme c'est déjà le cas dans la Loi sur l'égalité hommes-femmes (LEg), le licenciement abusif anti-syndical d'un représentant élu du personnel ou d'un délégué syndical doit pouvoir être annulé par les tribunaux. De même, la réintégration provisoire doit pouvoir être ordonnée par le juge, immédiatement Dès l'ouverture de la procédure.

Pour les syndicats, il est impossible de proclamer, d'un côté, qu'il faut se mobiliser "pour faire pression sur le patronat" jusqu'aux votations de septembre 2005 et, de l'autre côté, de ne pas faire d'une modification légale ayant trait aux droits fondamentaux une priorité éthique et syndicale.

Ce double langage ressemble, du point de vue de la façon de faire, au double langage démagogique de la droite nationaliste. C'est ce double langage et une pratique unilatérale de concessions qui créent la défiance parmi les salarié·e·s. En outre, la défiance face aux inspecteurs du travail peut se modifier à deux conditions. La première, que leur statut et leur activité changent et que cela soit ressenti et compris par les salarié·e·s. La seconde, que les salarié·e·s acquièrent la sécurité et la confiance pour informer les inspecteurs et les syndicats, car l'épée de Damoclès du licenciement ne pèsera plus du même poids sur leur nuque. C'est ici que le droit rencontre les droits des travailleurs, y compris au sein d'une société bourgeoise. C'est ici que les droits des travailleurs rencontrent la possibilité d'activités collectives, solidaires et syndicales. Vouloir séparer le droit et ces droits, la bataille légale et la mobilisation pratique, sur le terrain, est faire preuve soit de mauvaise foi, soit d'une certaine innocence face aux relations d'exploitation et d'oppression propres à la société dite salariale. Feu le professeur Gérard Lyon-Caen insistait sur le fait que la "mission [du délégué syndical] est normalement de résister à l'employeur, de lui tenir tête, de ne pas accepter de lui qu'il lui dicte son attitude et sa conduite". Il soulignait toutefois que, dans l'entreprise actuelle, même ce délégué ne pouvait échapper "à la subordination", qui est le propre des relations de pouvoir concrétisant les relations économiques en société capitaliste.

En cas de refus du protocole additionnel, le Conseil fédéral devra revoir sa copie. Cela sera l'occasion ou jamais pour la gauche et les syndicats combatifs de mettre en avant un éventail de revendications qui sont, de plus en plus, au centre des préoccupations des salarié·e·s travaillant en Europe, de toutes les nationalités. Cela se constate, dès maintenant, avec la mobilisation contre la Constitution européenne et contre la directive Services (Bolkenstein), ou encore contre celle qui veut supprimer quasiment toute limitation au temps de travail.

Un NON en septembre est un NON qui s'inscrit dans le refus des salarié·e·s d'Europe d'accepter qu'une minorité commande aux êtres humains parce qu'elle commande aux machines et dispose du pouvoir de la propriété privée, concentrée comme jamais dans l'histoire.

 

Notes

1. Dans Mélanges en l'honneur de Jean-Marie Verdier. Droit syndical et droits de l'homme à l'aube du XXIe siècle, Dalloz, 2001.

2. La flexibilité du travail a deux formes. 1° La flexibilité externe implique le recours à l'externalisation de l'emploi; la sous-traitance en est exemple. C'est aussi le droit patronal de licencier sans difficulté et au moindre coût. C'est l'extension du recours au travail temporaire et au contrat à durée déterminée, dans les usines, les bureaux ou l'enseignement. 2° La flexibilité interne consiste à faire varier la durée du travail (annualisation); à faire varier les salaires (salaire fixe, plus prime au mérite, au résultat); à à modifier sans cesse l'organisation du travail et l'affectation des travailleurs.
La flexibilité est une façon de précariser l'emploi… Les néo-conservateurs (qui se baptisent libéraux) font croire que cela va améliorer l'emploi. Ce que rien ne prouve. Par contre cala a améliorer, depuis les années 1980, la part des profit dans la valeur ajoutée.

3. Le revenu d'équivalence tient compte de la taille des ménages et est obtenu après déduction des impôts, des cotisations sociales et autres contributions obligatoires. Il donne donc une idée du pouvoir d'achat.

4. Les évolutions de l'Union européenne sont doublement négatives. D'une part, l'UE est devenue le laboratoire continental des contre-réformes néo-conservatrices. La nouvelle Commission européenne symbolise cette orientation. D'autre part, les frustrations nourries par la crise économique et sociale stimulent des réactions chauvines et réactionnaires que l'on voit fleurir dans tous les pays européens sous le leadership de chefs de gouvernement, comme en Italie, en Hollande et ailleurs. A cela s'ajoute une relance du militarisme au nom de la nécessité d'une grande Europe qui fait ses emplettes en Amérique latine (participation aux privatisations) comme en Asie ou en Afrique. Souvent la social-démocratie, comme en Allemagne ou en Grande-Bretagne, dirige réarmement et austérité. L'UE n'est pas la grande rencontre des cultures que certains voudraient nous faire avaler. Aujourd'hui, l'UE et la politique de ses gouvernements est avant tout teintée de régressions sociales, ce qui ne peut que déboucher sur une régression culturelle. Cette UE n'est pas celle des salarié·e·s. C'est celle de l'aristocrate Giscard d'Estaing et du massacreur social: le ministre de Schröder Hartz.

5. Toutes deux citations dans Mélanges en l'honneur de Jean-Marie Verdier. Droit syndical et droits de l'homme à l'aube du XXIe siècle, Dalloz, 2001.

Un schéma simple et maintenant connu
Flexibilisation du travail (annualisation des heures,
heures supplémentaires payées en vacances, même pas toujours)
–>
affaiblissement du droit du travail
(révision de la Loi sur le travail de 1998)
–>
chômage qui se perpétue, car la croissance  est faible à cause de la stagnation des salaires qui contracte la demande interne
(malgré le petit crédit que les ménages doivent de plus en plus utiliser)
–>
productivité (production par heure par travailleur) plus élevée que la croissance du PIB, ce qui fait que le volume des emplois ne croît pas
–>
licenciements et restructurations des grandes firmes
–>
diminution du montant des allocations de chômage et obligation de prendre un "emploi convenable", avec un salaire nettement plus bas
–>
diffusion quantitative de la stagnation des salaires
–>
plus de pression sur le lieu de travail et sous-traitance comme forme de plus en plus généralisée de fonctionnement, avec des délais très courts et un stress énorme
–>
utilisation du travail temporaire et des travailleurs/travailleuses fragilisé·e·s pour accentuer cette régression
–>
réduction des budgets publics avec contraction des emplois dans les services publics ou parapublics et des prestations sociales…

6. Le solde net du stock des IDE (Investissement directs à l'étranger) est le total cumulé des investissements issus de Suisse, moins le total des investissements étrangers effectués en Suisse.

7. Les pays entrants dans l'UE sont les suivants: Pologne, République tchèque, Hongrie, Slovénie, Slovaquie, Lettonie, Chypre, Lituanie, Estonie, Malte. Leur population s'élève à 77 millions. La population de l'UE à 25 est de 455 millions. Le PIB de l'UE élargie représente quelque 28% du PIB mondial. En 2003, le taux de chômage moyen des "anciens membres" de l'UE se situait légèrement en dessous de 8%. Il se situe à 9% dans l'UE des 25.

8. Le 19 janvier 1990 est signée la Convention de Schengen qui complète l'accord de Schengen conclu en juin 1985, dans cette ville du Luxembourg, région des "trois frontières".
L'entrée en vigueur a été repoussée à plusieurs reprises et devint effective en mars 1995, entre les premiers sept pays signataires. Ces accords combinent la "libre circulation" au sein de l'UE – avec des contrôles aux frontières maintenus dans certains pays, comme la Grande-Bretagne ou l'Irlande. Le visa est obligatoire pour les ressortissants de quelque 126 pays, aujourd'hui.
Pour les requérants d'asile, toute demande sera étudiée par un seul Etat membre de Schengen. Sera responsable du traitement l'Etat où réside déjà un parent du demandeur, en qualité de réfugié. "L'harmonisation des politiques de refoulement" (avec leurs diverses dispositions pénales et policières) n'a cessé de progresser. Elle s'oppose, sur le fond, à la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, présentée en 1950 – résolution 429 de l'ONU – puis adoptée en 1951 et entrée en vigueur dès 1954.
Cette Convention, après les tragédies de la seconde guerre mondiale, devait être un instrument pour que, à l'avenir, toute personne subissant des atteintes graves à ses droits fondamentaux puisse accéder à la protection hors du pays dont elle a la nationalité. Ce principe est plus pertinent que jamais. L'UE le contourne et pousse tous les pays à un alignement vers le bas dans le domaine de l'asile, comme dans le domaine social, ce qui est complémentaire pour "fluidifier" certains segments du marché du travail.

9. Voir sur les avantages explicite pour les industriels qui font de leur entreprises des modèles de modernisation de l'exploitation des "ressources humaines": Patrick Masson du Groupe Bobst dans Point de Repère, N° 24.

10. Le deuxième pilier est constitué par les caisses de pension pour l'essentiel et fonctionne sur la base de la capitalisation (le salarié recevra ce que le capital accumulé est censé rapporter). De moins en moins, une rente fixée à l'avance lui est assurée. Ainsi, la primauté de cotisations remplace la primauté à grande vitesse des prestations (primautés des prestations) qui fixaient la rente en pourcentage d'une moyenne salariale. La rente va dépendre des aléas de la Bourse et du profil, aléatoire, de la "carrière professionnelle"… de l'ouvrier ferblantier, de la vendeuse, de l'infirmière ou du fonctionnaire devenu simple salarié, menacé de chômage!
Encore pour quelque temps, un haut cadre recevant un salaire supérieur à 774000 francs par année pourra cotiser sans limites à sa caisse de pension. L'employeur cotise le même montant ou plus. Examinons les conséquences de cette pratique sur deux chiffres. Tout d'abord, dans les calculs de coûts salariaux, où sont incluses les cotisations au IIe pilier, ce genre de "contributions" fait exploser à la hausse la moyenne. Ensuite, ces contributions au IIe pilier – dont l'iniquité n'est plus à démontrer – accroissent considérablement le montant des prétendues dépenses sociales en Suisse, alors que ces sommes servent, largement, à abonder les fonds gérés par les banques et les assurances avec profits.

11. Le coût salarial unitaire est le salaire total divisé par la quantité produite. Son évolution dépend de celle du salaire et de la productivité; la productivité est le rapport entre le volume de la production et le volume du travail, en tenant compte du temps de travail et de son intensité.

12. La population active est composée des personnes qui exercent une activité rémunérée. C'est la population active occupée (taux d'occupation). Pour compléter la définition de population active, il faut y ajouter ceux et celles qui recherchent un emploi (chômeurs).
La population inactive est composée par les personnes qui n'occupent pas un emploi et qui n'en recherchent pas. Cette définition pose toutefois des problèmes. En effet, face à une montée du chômage, des femmes travaillant à temps partiel peuvent renoncer à chercher un emploi, pensant que leurs chances d'en trouver sont trop petites. Des étudiants, devant l'incertitude de trouver un emploi à cause du chômage, peuvent "décider" de prolonger leurs études et d'être soutenus par leur famille, même si cette dernière connaît des difficultés matérielles. On ne peut dire que ce sont vraiment des membres de la population inactive.

13. Une partie du travail accompli n'est pas payée par l'employeur. Contre un salaire, le travailleur vend sa force de travail. La caractéristique particulière de cette marchandise – payée à son prix, sous la forme du salaire – consiste à produire plus de valeur (plus-value) que sa propre valeur. La valeur de la force de travail est constituée par l'ensemble des dépenses nécessaires pour sa production et sa reproduction (alimentation, logement, formation, éducation des enfants, santé, etc.). Cette valeur dépend du standard de vie existant dans chaque pays à un moment donné. Il y a actuellement une tendance à niveler ce standard au sein même de l'UE des 25 et des pays ayant des accords bilatéraux. La concurrence entre salarié·e·s est un instrument de ce nivellement.

14. Le débat en France sur la directive de la Commission européenne Services pose une partie du problème débattue en Suissse. Le choc est tel que le gouvernement français lui-même, le président Chirac, admiré par Couchepin, a dû exprimer son désaccord (partiel) avec le projet de directive Services, connue comme directive Bolkestein. Cette directive vise à libéraliser les services. Autrement dit, il suffirait qu'un artisan ou un travailleur détaché (un travailleur envoyé par une entreprise polonaise pour travailler en France) "respecte" la réglementation de son pays pour vendre "ses services" en France. Si contestation il y avait, il appartiendrait à la Pologne de vérifier que des travailleurs détachés polonais du bâtiment employés à Berlin ou à Paris respectent le droit local, c'est-à-dire le droit allemand ou français! Même si les autorités allemandes ou françaises peuvent effectuer un contrôle inopiné (ce qui n'est pas le cas en Suisse). Le quotidien français Le Monde écrit: "Le blocus par les syndicats suédois d'un chantier d'école, remporté par une entreprise lettone dans la grande banlieue de Stockholm, s'est élargi à huit branches professionnelles au cours des dernières semaines. Depuis le 2 novembre 2004, les syndicats protestent ainsi contre le refus de la société lettone Laval & Partneri d'adopter les accords collectifs en vigueur dans le royaume et l'accusent de dumping social. La Commission européenne a reçu une plainte du gouvernement letton pour atteinte à la libre circulation des services au sein de l'Union. L'avis de Bruxelles devrait intervenir dans plusieurs semaines.
De son côté, le tribunal du travail suédois, dans son jugement préliminaire, a donné raison aux syndicats. Le chantier a cessé de fonctionner, suscitant la menace de la municipalité concernée de confier les travaux à une autre entreprise." (3 février 2005).

15. "Il ressort que tant l'espérance de vie que les causes de décès diffèrent selon les couches sociales. Les auteurs [Bisig et Felix Gutzwiller, actuellement conseiller national radical zurichois de l'aile droite du parti, médecin] mettent en outre en évidence que "les personnes faisant partie des couches sociales inférieures (professions sans qualification) décèdent de manière sensiblement plus fréquente de maladies en partie évitables…" "L'augmentation de la mortalité inversement proportionnelle à la classe sociale est perceptible dans toutes les classes d'âge… De plus on constate… une mortalité plus forte des couches sociales inférieures pour toutes les causes de décès." Rapport réalisé par Olivia Lampert, Université de Neuchâtel, "Mortalité, invalidité en rapport avec l'activité professionnelle", p. 98-99.


 
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