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                 Les mésaventures du sectarisme révolutionnaire Alain Bihr * En août 2009, Michel Dreyfus – historien et directeur de
  recherches au CNRS – publiait un important ouvrage: L’antisémitisme à gauche. Histoire d’un paradoxe de
  1830 à nos jours (Editions La Découverte).  Michel Dreyfus est, entre autres, connu pour deux ouvrages de
  référence: Histoire de la CGT 1895-1995,
  Ed. Complexe (1995) et Histoire des assurances sociales (en
  collaboration) Presses universitaires de Rennes (2006).   Les analyses portant sur le négationnisme propre à une fraction
  de l’ultra-gauche ne sont pas monnaie courante. D’où l’utilité
  de la contribution faite par Alain Bihr, datant de 1997.   Pour mettre en mettre en perspective ce texte, il est utile de
  citer l’ouvrage de Michel Dreyfus. L’auteur indique qu’au début
  des années 1970: les «animateurs de la Vieille
  Taupe [un lieu de rencontre d’une ultra-gauche
  hostile au stalinisme»] découvrent un texte, Auschwitz
  ou le grand alibi, écrit en 1960 par Amadeo Bordiga
  (1899-1970).» Ce texte a été publié en français dans Programme communiste, avril-juin 1960. M. Dreyfus rappelle qu’Amadeo Bordiga a été l’un des
  principaux fondateurs du Parti communiste italien. «Il en a été
  exclu en 1926, mais à la différence des trotskistes, il réfute
  complètement la notion d’antifascisme dans la décennie 1930,
  durant la Seconde Guerre mondiale et ensuite. Il y voit un mensonge
  idéologique et politique qui a permis au capitalisme de se maintenir
  au terme du conflit. Dans ce texte qui va devenir une des références
  du négationnisme, Bordiga développe deux idées proches de celles
  avancées jusqu’alors par les antisémites anarchistes et
  pacifistes. Tout d’abord, il défend une conception purement
  matérialiste, économiciste, de l’extermination des Juifs par le
  capitalisme. […] Bordiga ne remet pas en cause la réalité du
  génocide, mais il l’explique d’une manière purement
  matérialiste: le capitalisme a condamné à mort des millions
  d’hommes en les rejetant de la production et les Juifs ont été
  les premiers visés parce qu’ils étaient devenus inutiles à la
  bourgeoisie allemande. Dès lors, le génocide ne s’explique pas
  par l’antisémitisme, mais par les besoins du capitalisme. […]
  Selon Bordiga, le capitalisme a massacré les Juifs après en avoir
  tiré toute la plus-value possible. […] Au début des années 1970,
  à partir d’une relecture schématique de l’œuvre de ce dernier
  [Bordiga], l’ultra-gauche s’intéresse sur les modalités de
  passage du capitalisme industriel à un capitalisme financier ;
  elle estime que cette transformation condamne la petite-bourgeoise à
  une disparition inéluctable. Le texte de Bordiga entre en résonance
  avec cette analyse et telle est la raison pour laquelle
  l’ultra-gauche s’en empare.»   Dreyfus souligne que ce point de vue «essentiellement
  économiciste» amène à «relativiser
  la spécificité du nazisme. En privilégiant les facteurs
  économiques, l’ultra-gauche de La Vieille Taupe reprend
  à son compte cette vision des choses.» (L’antisémitisme
  à gauche, p. 231) La reémérgence, sous des formes plus ou moins déguisées ou
  sophistiquées, d’une approche économicite de la «destruction
  des Juifs d’Europe» – pour reprendre le titre de l’ouvrage
  de Raul Hilberg (Editions Gallimard, Folio, 2006, 3 tomes) – est
  toujours possible. La critique radicale, justifiée, de l’Etat
  d’Israël – en tant que pratiquant une politique caractéristique
  des Etats coloniaux de peuplement – peut nourrir parfois
  l’antisémitisme, y compris jusqu’à son extrémisme: le
  révisionnisme et/ou le négationnisme.   Cela est certes tout à fait marginal au sein des mobilisations en
  Europe, aux Etats-Unis, etc. soutenant les droits historiques et
  actuels de la population palestinienne. Néanmoins, une piqûre de
  rappel sur les «mésaventures» d’une fraction de
  l’ultra-gauche n’est pas inutile.   Le texte d’Alain Bihr retrace un débat qui, pour l’essentiel,
  est ignoré, par les nouvelles générations. D’où son utilité et
  son actualité. (Réd.) ***** Une étonnante alliance contre-nature  Pour qui tente aujourd'hui de se faire l'historien du révisionnisme
  et du négationnisme [1],
  la moindre des surprises n'est sans doute pas de constater le rôle
  décisif qu'y ont joué certains groupes se réclament de
  l'ultra-gauche en France [2].
  C'est même la spécificité du négationnisme français: dans
  d'autres pays comme l'Allemagne, la Grande-Bretagne ou les
  Etats-Unis, le négationnisme est essentiellement défendu par des
  individus, des groupes, des organisations qui se situent dans une
  filiation ouvertement fasciste.  Au centre de ce dispositif spécifique, Pierre Guillaume, ancien du
  groupe «Socialisme ou Barbarie» puis de «Pouvoir ouvrier»,
  propriétaire pendant quelques années (1965-1972) d'une librairie du
  Quartier Latin, La Vieille Taupe, spécialisée dans la littérature
  révolutionnaire, issue de groupes minoritaires et peu connus.
  Fondant pour l'occasion une maison d'édition reprenant le nom de son
  ancienne librairie, ce qui entretiendra une confusion propice à bien
  des dérives, il va se faire l'infatigable propagandiste des thèses
  négationnistes défendues par Robert Faurisson, dès qu'elles ont
  été publiques, notamment après sa tribune dans Le Monde du
  28 décembre 1978, intitulée «Le problème des chambres à
  gaz ou la rumeur d’Auschwitz». Lui seul fera écho aux
  thèses de Faurisson lorsque celui-ci sera attaqué, en publiant son Mémoire en défense contre ceux qui m'accusent de falsifier
  l'histoire, au nom de la défense de la liberté d'expression. De
  même éditera-t-il l'ouvrage de Serge Thion, autre «historien»
  négationniste, Vérité historique ou vérité politique ?,
  sans doute la plus importante défense et illustration des thèses
  faurissonniennes menée à ce jour par un de ses disciples.  A partir du milieu des années 1980, Guillaume va étendre son
  activité d'éditeur à l'ensemble de la littérature révisionniste
  et négationniste. Ainsi republiera-t-il certains écrits de
  Rassinier (Le Mensonge d'Ulysse et Ulysse trahi par les
  siens), le précurseur direct de Faurisson, jusqu'alors édités
  par Maurice Bardèche [1907-1998, beau-frère du collaborationniste
  Robert Brasillach], lequel s'est toujours défini comme un
  intellectuel fasciste [3].
  Il éditera également la traduction d'un grand classique de cette
  littérature, Le Mythe d'Auschwitz de Wilhelm Stäglich.
  Entre 1987 et 1990, il publiera même une revue intitulé Annales
  d'histoire révisionniste, dont la couverture imitera la célèbre
  revue des Annales de Marc Bloch, dans le but de donner une
  apparence académique au négationnisme. Au sommaire des huit numéros
  de cette revue défileront tous les plumitifs du négationnisme
  français et quelquefois étranger. En 1990-1991, Guillaume tint à
  nouveau librairie au Quartier Latin, toujours à l'enseigne de La
  Vieille Taupe, mais il dut fermer boutique face aux protestations du
  voisinage. Une partie de ses publications finiront ainsi par être
  diffusées par la libraire Ogmios, spécialisée dans la littérature
  néo-nazie. La boucle s'est ainsi bouclée et l'âme damnée du
  révisionnisme d'ultra-gauche a fini par rejoindre ses compagnons de
  lutte naturels. Rappelons enfin que Guillaume vient de se signaler en
  publiant, en primeur, le dernier ouvrage négationniste de Roger
  Garaudy [1913- , une figure prééminente du PCF, expulsé en 1970 ;
  ce protestant se convertira à l’islam en 1982 et publiera, en
  1996, l’ouvrage portant comme titre Les Mythes fondateurs de la
  politique israélienne].  Entre-temps, sa renommée avait entraîné d'autres éléments de la
  mouvance ultra-gauche dans son soutien au négationnisme. A commencer
  par le groupe publiant la revue La Guerre Sociale, dont le
  n°3, paru en juin 1979, publie un long article intitulé «De
  l'exploitation dans les camps à l'exploitation des camps»:
  si on y lit notamment que «notre souci n'est pas de démontrer
  l'inexistence des ‘chambres à gaz’, mais de voir comment s'est
  établie une vérité officielle et comment elle est défendue» (page 24), la conclusion de l'article, s'appuyant essentiellement sur
  Rassinier, n'en est pas moins que cette «vérité officielle»
  n'est en fait qu'un mensonge reprenant et accréditant une rumeur née
  dans les camps de concentration nazis (cf. pages 29 et 31). A la même
  époque, ce groupe diffusera sur Lyon un tract prenant la défense de
  Robert Faurisson, sous le titre provocateur Qui est le Juif ? (sous-entendu: c'est aujourd'hui Faurisson qu'on persécute, mettant
  sur le même plan les victimes de la Shoah et celui qui nie cette
  dernière), reproduisant d'importants passages de l'article
  précédent. En 1981, ce groupe récidive en publiant, sous le même
  titre De l'exploitation dans les camps à l'exploitation des
  camps, une brochure qui s'en prend notamment à Pierre
  Vidal-Naquet, le qualifiant de «Klarsfeld de papier» à la
  suite de sa critique de Faurisson dans un numéro de la revue Esprit; ainsi qu'une très longue réponse de Pierre Guillaume à la
  lettre que lui avait adressée un de ses anciens compagnons
  politiques, lui-même déporté, qui avait rompu avec lui à la suite
  de son engagement négationniste. Preuve que tous les militants
  d'ultra-gauche n'ont pas connu la dérive négationniste dont il est
  question ici, et que celle-ci n'était donc pas fatale.  Parmi les relais ultra-gauches de l'entreprise révisionniste, on
  comptera également le groupe «Pour une intervention communiste».
  Dans plusieurs numéros de sa revue Jeune Taupe, il tiendra
  lui aussi à apporter sa contribution «à la dénonciation
  générale des mystifications capitalistes, y compris de
  l'antifascisme en particulier» (n°27, juillet-septembre 1979,
  page 5), en se faisant le propagandiste des thèses de Rassinier et
  de Faurisson. Dans un premier temps, son rôle se limitera à citer
  et commenter les publications de La Vieille Taupe ou La Guerre
  Sociale. Ainsi publiera-t-elle dans son numéro 31 (avril-mai
  1980) le tract Qui est le Juif ? Son originalité se
  marquera davantage à partir du n°34 (novembre-décembre 1980) qui
  republiera un article paru avant guerre dans une revue américaine,
  intitulé «Les chemises brunes du sionisme»; cet article dénonçait
  la nature fascisante d'une certaine tendance du sionisme de l'époque,
  regroupée autour d'un certain Jabotinsky, tendance alors qualifiée
  de «révisionniste» au sein même du mouvement sioniste ! La
  volonté d'amalgame est manifeste et Jeune Taupe ne s'en cache
  pas qui déclare à propos de cet article: «Sa publication ne
  peut pas être séparée de la polémique actuelle sur le phénomène
  concentrationnaire et la ‘religion de l’holocauste’ et des
  réactions que celle-ci a provoquées. Toute la presse sioniste
  (c'est-à-dire à peu près toute la presse !) s'est à l'occasion
  sentie mobilisée pour se mettre au service de la pire censure au nom
  des ‘six millions de mort’(!? )» (page 4).
  L'antisémitisme transparaît clairement dans la reprise de cette
  vieille lune de l'extrême-droite d'une presse aux mains des Juifs
  (rebaptisés pour l'occasion «sionistes»). Bien que
  déclarant ne pas vouloir «prendre formellement parti» sur
  la question de l'existence d'un génocide, Jeune Taupe affirme
  que «ce chiffre de six millions n'est certainement qu'une pure
  fantaisie (et qu'il constitue même une quasi impossibilité
  matérielle) et que la volonté d’’extermination’qu'il recouvre
  est très discutable» (page 5).   Ultérieurement, une partie du groupe devait publier une nouvelle
  revue, Révolution sociale, dans laquelle une rubrique
  intitulée «Nouvelles du diable» devait revenir
  régulièrement sur «l'affaire Faurisson» et témoigner d'un
  engagement toujours plus net à ses côtés. Ainsi lira-t-on dans son
  premier numéro le sophisme suivant: «même si Faurisson était
  antisémite, on ne saurait rejeter son travail au nom de cet unique
  argument. Si Pasteur avait été antisémite, aurait-on pour autant
  rejeté ses découvertes ?» (page 5). La comparaison de
  Faurisson à Pasteur donne une idée de la haute considération dans
  lequel cette «jeune garde» de l'ultra-gauche tenait désormais le
  premier. Ce qu'un numéro ultérieur de cette même revue, daté de
  janvier 1983, attestera encore, sous la forme d'un long entretien
  avec le «professeur accusé de ‘falsification’» (Faurisson n'avait jamais eu le titre de professeur, il était
  maître-assistant). Dans cet entretien, ses jeunes admirateurs
  s'inquiéteront même des moyens de l'«aider pour faire face à
  tous les frais de justice et d'abord pour ceux nécessaires aux
  recours en cassation» (page 2).  Ces différents groupes, pourtant souvent jaloux l'un de l'autre,
  ont pour collaboré pour la diffusion des thèses négationnistes.
  Ainsi les équipes publiant La Guerre Sociale et Jeune
  Taupe, renforcés pour l'occasion par d'autres groupes de
  l'ultra-gauche (Le Frondeur, le groupe «Commune de
  Cronstadt», le «Groupe de Travailleurs pour l'Autonomie Ouvrière
  », «Les amis du Potlatch»), ont-ils signé et diffusé en
  commun, à plusieurs dizaines de milliers d'exemplaires, lors des
  manifestations qui ont suivi l'attentat antisémite de la rue
  Copernic (octobre 1980), un tract intitulé Notre royaume est une
  prison où l'on pouvait notamment lire: «La rumeur des
  chambres à gaz, rumeur officialisée par le Tribunal de Nuremberg, a
  permis d'éviter une critique réelle, profonde du nazisme. C'est
  cette horreur mythique qui a permis de masquer les causes réelles et
  banales des camps et de la guerre.» Une véritable injure faite
  à la mémoire des victimes de la Shoah sur les lieux d'un attentat
  qui annonçait, pourtant, que d'aucuns étaient prêts à rééditer
  l'entreprise génocidaire nazie.  En définitive, ces groupes ne furent sans doute pas les initiateurs
  de l'entreprise révisionniste ou négationniste, mais il est
  incontestable qu'ils en ont été la médiation la plus active, en
  dépit du fait qu'ils n'ont jamais réuni à eux tous plus de
  quelques dizaines de personnes. Ils ont assuré à ces thèses une
  publicité, non pas tant par leurs revues, à l'audience relativement
  confidentielle, que par leur tactique de provocation par distribution
  de tracts. Ces différents groupes ultra-gauches se sont ainsi faits
  les principaux propagandistes des thèses faurisonniennes, en leur
  permettant de sortir de la marginalité et de la confidentialité
  dans lesquelles elles étaient contenues jusqu'alors. D'autre part,
  ils se sont fait les principaux soutiens de Faurisson lorsque
  celui-ci a commencé à avoir  affaire à la justice. Enfin ils ont
  apporté à cette entreprise d'extrême-droite qu'est le
  négationnisme une caution de «gauche», voire une caution
  «révolutionnaire», en la rendant du coup apparemment présentable,
  contribuant ainsi à brouiller les cartes, à embrouiller les esprits
  et à en perdre plus d'un. Jetant par là même la suspicion sur les
  références révolutionnaires dont ils ont toujours été friands,
  ils ont contribué ainsi à leur discrédit dans une époque qui aura
  vu triompher une contre-révolution idéologique aux multiples
  facettes. Les noms de Marx et de Rosa Luxemburg, les évocations des
  grands moments de la lutte révolutionnaire du prolétariat (la
  Commune de Paris, la révolution soviétique, la Catalogne de
  1936-37) vont ainsi être mêlés, suprême déshonneur, à cette
  entreprise de falsification de l'Histoire !   Par quelle perversion politique et intellectuelle des militants de
  l'ultra-gauche, certains enfants de Mai 68 et des «luttes
  anti-impérialistes», ont-ils fini par se retrouver au coude à
  coude avec des vieux routiers de l'extrême-droite ? Comment
  expliquer une pareille alliance contre-nature ? Commençons par
  écouter à ce sujet certains des principaux intéressés eux-mêmes [4]. Ecoutons les «repentis» nous interpréter la blague du chaudron
  !  Car, au fur et à mesure où, dans le sillage de Pierre Guillaume,
  le révisionnisme et négationnisme d'ultra-gauche dérivaient vers
  des positions ouvertement antisémites et nouaient des contacts avec
  la mouvance néo-nazie, certains membres des précédents groupes qui
  s'étaient engagés dans cette voie allaient reculer devant de
  pareilles extrémités et déserter le combat négationniste. Si la
  plupart le firent discrètement, sur la pointe des pieds, pour ne
  plus faire parler d'eux et tenter de se faire oublier, d'autres, peu
  nombreux, ont tenu au contraire à s'expliquer sur leur dérive
  antérieure. Ainsi en a-t-il été de quatre anciens membres de
  l'ex-groupe éditant Jeune Taupe. A la suite du lapsus de
  Jean-Marie Le Pen sur le «point de détail» que
  constituerait l'existence des chambres à gaz dans les camps
  d'extermination nazie (septembre 1987), ils ont réagi par la
  diffusion d'un texte d'une douzaine de pages intitulé «Trop,
  c'est trop !», soi-disant destiné à prendre leur distance
  avec leur passé négationniste [5].
  De manière plus récente, les contributions de Serge Quadruppani et
  Gilles Dauvé à l'ouvrage collectif Libertaires et ultra-gauche
  contre le négationnisme6],
  constituent une tentative du même genre.  Se présentant comme des auto-critiques courageuses et lucides, ces
  textes s'avèrent à l'examen, pour l'essentiel, des plaidoyers pro
  domo dont l'incohérence de l'argumentation évoque
  immanquablement la célèbre histoire juive du chaudron [7].
  Ainsi ces soi-disant ex-révisionnistes ou négationnistes nous
  expliquent-ils simultanément qu'ils n'ont rien fait; mais qu'ils
  ont eu raison de le faire; et que, pour autant qu'ils aient eu tort,
  du moins les principes qui les ont inspirés dans cette affaire ont
  été et restent excellents.  «Nous n'avons rien fait ! Ou alors si peu que cela ne
  vaut pas la peine d'en parler.» Tel est le leitmotiv de ces
  différents textes: à les en croire, ces «repentis» n'ont jamais
  été ni négationnistes, ni même révisionnistes. C'est à se
  demander alors pourquoi ils éprouvent tant le besoin de s'expliquer
  et de se justifier à ce sujet... Comme le dit François-Georges
  Lavacquerie, qui semble parler en connaisseur: «Ce qui
  rend les ‘révisonnistes’ odieux, c'est tout autant leurs thèses
  antisémites et mensongères niant le génocide que leur malhonnêteté
  dialectoc qui va jusqu'à leur faire nier leur négation.» [8]
  En somme, ils appliquent à leurs propres positions antérieures le
  même traitement négationniste qu'ils ont précédemment fait subir
  au génocide juif. Comme si le négationnisme était devenu chez eux
  une seconde nature...  C'est ainsi que les quatre anciens membres de Jeune Taupe,
  dont nous venons de voir combien ils s'étaient soucié quelques
  années auparavant de défendre Faurisson, affirment avec aplomb: « En ce qui nous concerne, nous n'avons jamais été ni
  révisionnistes, ni compagnons de route du révisionnisme... même si
  nous sommes contre le lynchage, les interdictions quelles qu'elles
  soient, les mensonges de toute nature et les amalgames tous azimuts ! » (pages 3-4). C'est donc uniquement pour défendre la liberté
  d'expression du pauvre «professeur Faurisson» qu'ils se
  seraient portés à son secours, entérinant du même coup son
  immense et crapuleux mensonge et quelques stupéfiants amalgames.  C'est au même procédé que recourt Serge Quadruppani dans son
  texte intitulé «Quelques éclaircissements sur La Banquise»,
  la revue dont il fit paraître, avec Gilles Dauvé, quatre numéros
  entre 1983 et 1986. Il commence par faire remarquer que, sur les 279
  pages que comprirent en tout ces quatre numéros, seules «26
  pages concernaient de près ou de loin (parfois de très loin) le
  génocide et les faurissonneries» (page 71). Comme si la teneur
  d'une publication se mesurait au nombre de ses pages, au fil
  desquelles on pouvait lire des propos aussi peu suspects de
  révisionnisme que ceux-ci: «Mis en fiche et carte par la
  Sécurité sociale et tous les organismes étatiques et
  paraétatiques, l'homme moderne juge particulièrement horrible et
  barbare le numéro tatoué sur les bras des déportés. Il est
  pourtant plus facile de s'arracher un lambeau de peau que de détruire
  un ordinateur.» [9]
  Ce qui n'empêche pas Quadruppani de prétendre que «La Banquise a été fondée notamment parce que ses animateurs, dont j'étais,
  ont rompu avec les gens animant La Guerre Sociale, lesquels
  soutenaient Pierre Guillaume dans une dérive révisionniste que nous
  condamnions.» (page 71) On mesure aussi combien cette rupture
  avec le négationnisme avéré d'un Guillaume était chose relative à
  l'époque où ils jouaient les pingouins sur La Banquise. Ce
  que Quadruppani doit d'ailleurs concéder, du bout des lèvres, dès
  la page suivante: «Les textes de La Banquise reflètent
  les difficultés et les insuffisances de ce processus de rupture.
  » (page 72)  Quant à Dauvé, c'est lui qui va le plus loin dans la présentation
  révisionniste de son propre passé révisionniste. Tout son «Bilan et contre-bilan» n'est qu'un maquillage du rôle décisif
  qu'il a joué dans la mise en place du dispositif idéologique qui
  génèrera la dérive négationniste d'une partie de l'ultra-gauche.
  Ainsi omet-il de signaler que c'est lui qui a republié, en 1973, le
  texte d'origine bordiguiste, Auschwitz ou le grand alibi, dont
  on pourra juger plus loin à quel point sa matrice théorique, faite
  d'un marxisme abâtardi en déterminisme économiste, comporte toutes
  les prémisses d'une dérive révisionniste, contrairement à ce
  qu'il prétend lui-même (pages 86-87). De même réduit-il au rang
  d'un simple «brouillon» la version primitive de l'article
  intitulé «De l'exploitation dans les camps à l'exploitation des
  camps» qui, comme on l'a vu plus haut, aura transformé les
  militants de La Guerre Sociale en fantassins du révisionnisme
  puis du négationnisme [10].  Comme il leur est malgré tout impossible de cacher ou de nier toute
  participation à l'entreprise révisionniste ou négationniste, les
  «repentis» se replient sur une seconde ligne de défense: «Ce
  que nous avons fait (c'est-à-dire soutenir un moment des thèses
  négationnistes et révisionnistes), nous avons eu raison de le
  faire.» Autrement dit, après avoir nié leur passé, les voici
  qui refusent de le renier. Et c'est là que leur discours commence à
  devenir intéressant, car il lève en partie le voile sur les raisons
  de leur dérive. «Signataires, en tant que membres d'un groupe aujourd'hui
  défunt, du tract Notre royaume est une prison qui a fait
  parler de lui à l'époque, nous voulions attirer l'attention sur le
  danger du fonctionnement mythique des sociétés et sur les mensonges
  que cela entraîne pour justifier l'adhésion des populations à de
  telles représentations. Nous étions préoccupés par la «guerre du
  faux» contre la réalité vraie.» écrivent les ex-militants
  de Jeune Taupe (page 5). Parmi les «mensonges» dupant les masses qu'ils se proposaient ainsi de faire éclater en
  s'en prenant au «mythe» d'Auschwitz et des chambres à gaz
  figuraient, tout simplement, le régime démocratique et
  l'antifascisme. Le régime démocratique, parce qu'il trouve dans la
  barbarie nazie symbolisée par Auschwitz un argument à bon compte
  pour se légitimer et, avec lui, l'inhumanité ordinaire du
  capitalisme: «à nos yeux, toutes les fractions capitalistes
  sont condamnables et l'on n'a pas à choisir entre la peste et le
  choléra. Des spécificités entre les multiples atrocités doivent
  être comprises et reconnues mais elles ne permettent en aucun cas de
  racheter un gang plus démocrate aux dépens d'un autre qui porterait
  ainsi tous les ‘péchés’ du monde sur son dos !» (pages
  8-9). L'antifascisme, parce qu'en faisant du fascisme la «bête
  immonde» à abattre, il participe précisément à cette
  légitimation du capitalisme: «nous continuons à dénoncer
  également les forces dites démocratiques, anti-fascistes et
  anti-racistes de type bourgeois qui, elles aussi, sous des couverts
  humanistes, développent la politique du capitalisme et ses
  conséquences violentes les plus extrêmes.» (page 6).  Même son de cloche chez Quadruppani et Dauvé. Eux aussi justifient
  rétrospectivement leur épopée révisionniste par la nécessité de
  procéder à une critique radicale du régime démocratique et de
  l'antifascisme. «(...) sur le terrain de l'antifascisme, nos
  critiques de l'Union Sacrée n'ont, pour moi, rien perdu de leur
  validité (...) (car) l'antiracisme et l'antifascisme forment
  l'idéologie officielle de tous les dirigeants, le langage commun de
  tous les médias. L'antiracisme est même le discours des
  expulseurs des clandestins» (pages 75 et 77) affirme par
  exemple péremptoirement Quadruppani. Il est bien le seul à avoir
  perçu la dimension antiraciste des propos d'un Mitterrand évoquant
  un certain «seuil de tolérance» qui aurait été atteint,
  ou d'un Chirac parlant de certaines «odeurs», pour ne pas
  parler de Pasqua confessant partager l'essentiel des valeurs du FN.
  Et c'est Dauvé qui exprime le plus clairement cette commune haine de
  l'ultra-gauche à l'égard de la démocratie, en affirmant tout de go
  que «la démocratie parlementaire s'est avérée une des
  meilleures formes d'étouffement des prolétaires» (page 83);
  ou encore que «les démocrates ne se sont jamais dressés
  sérieusement sur la route des fascistes vers le pouvoir» (pages
  83-84). Ce qui visiblement justifie à ses yeux,
  rétrospectivement, leur égarement antérieur.  D'ailleurs, dans cette oeuvre d'auto-justification de leur carrière
  révisionniste, il arrive aux «repentis»... de ne guère se
  repentir. Ainsi Quadruppani confie-t-il ne pas regretter d'«avoir,
  dans (son) Catalogue du prêt-à-penser français [11], défendu la liberté d'expression de Faurisson» (page 78),
  même s'il confesse en note qu'il n'écrirait plus aujourd'hui de la
  même manière le passage le concernant. Un Faurisson qui s'était
  fait connaître en affirmant que «les prétendues chambres à gaz
  hitlériennes et le prétendu génocide des juifs forment un seul et
  même mensonge historique qui a permis une gigantesque escroquerie
  politico-financière» et que «Hitler n'a jamais admis
  qu'un seul Juif soit tué en raison de sa race ou de sa religion».
  Et que penser de Dauvé qui, dans la version primitive de sa
  contribution remise à la presse, continuait à qualifier les
  chambres à gaz de «gigantesque détail de la Seconde guerre
  mondiale» –  passage qui a curieusement disparu dans la
  version publiée par Reflex – ou qui ne peut pas s'empêcher
  de semer le doute en indiquant au passage que le procès de Nuremberg
  ne fut «pas plus truqué que les autres» (page 93).
  Chassez le naturel, il revient sinon au galop, du moins en catimini !  Poussée trop loin, l'auto-justification risque cependant de ruiner
  l'entreprise de dédouanement que sont ces textes. Aussi, troisième
  ligne de défense, nos «repentis» reconnaissent-ils malgré tout
  quelques erreurs secondaires; mais c'est aussitôt pour affirmer
  qu'elles n'invalident en rien leurs principes théoriques ou
  politiques. Bref, même s'ils ont eu tort de s'embarquer quelque
  temps dans la galère révisionniste, leur cap a toujours été le
  bon.  Ainsi, dressant le bilan de sa croisade révisionniste qui fut aussi
  celle de Dauvé, Quadruppani commence-t-il par s'adresser un
  satisfecit qui laisse pantois. Ce bilan serait globalement positif:
  «j'estime que, sur l'essentiel, nous avons vu juste» (page
  72). Détails inessentiels donc que ces «deux faiblesses
  principales, l'une quant à notre attitude à l'égard de Faurisson,
  l'autre sur la question des ‘chambres à gaz’» qu'il
  concède un peu plus loin (page 73). Tout en affirmant ne pas
  regretter avoir défendu, en son temps, la liberté d'expression de
  Faurisson, il reconnaît que «c'était une erreur et une faute
  de le renvoyer dos à dos avec  -Naquet, qui est un chercheur
  rigoureux et honnête, alors que Faurisson est un faussaire
  antisémite» (ibid.) […]  Autre détail que leurs palinodies sur l'existence des chambres à
  gaz: «S'il nous semblait réellement secondaire que les
  chambres à gaz aient existé ou non, c'est parce que, pour nous,
  elles n'ajoutaient rien à l'horreur du nazisme. Si, sur le principe,
  je pense que nous avions raison, il me semble que nous passions à
  côté d'un point essentiel, à savoir que l'aspect froidement
  technique et administratif de ces chambres à gaz introduisait une
  nouveauté radicale, qui distinguait effectivement le génocide des
  juifs et des tziganes de ceux qui l'avaient précédé.» (page
  74). Autrement dit, s'il reconnaît l'énormité du fait d'avoir
  réduit l'existence des chambres à gaz à un point secondaire,
  réduction qui est le propre d'une attitude révisionniste, c'est
  aussitôt pour ajouter qu'ils avaient raison de commettre une
  pareille énormité. En somme, ils ont eu raison d'avoir eu tort...  On pourrait ainsi continuer à remplir des pages à mettre en pièces
  un plaidoyer pro domo dont les incohérences ne sont que
  l'expression de la mauvaise foi et de l'incapacité à rompre
  définitivement et absolument avec le passé. Incapacité dont
  témoigne d'ailleurs à lui seul le fait que, près de quinze ans
  après, ils continuent à multiplier les arguties et à cultiver les
  ambiguïtés sous prétexte de clarification.  L'exercice est lassant et stérile, sauf quand il nous révèle,
  comme nous l'avons vu, que leur dérive n'a pas été fortuite,
  qu'elle a sans doute tenu à quelques unes des propositions
  cardinales du corpus idéologique définissant l'ultra-gauche (ou du
  moins ce qu'elle était devenue dans les années 1970), notamment sur
  la démocratie et l'antifascisme. Car, contrairement à ce que
  prétend Dauvé (page 87), le ver révisionniste était bien, dans
  une certaine mesure, dans le fruit de la «théorie»
  ultra-gauche. Et c'est bien parce que nos «repentis» continuent à
  partager pour l'essentiel les prémisses de cette théorie, même
  s'ils se sont écartés de ses conséquences révisionnistes et
  négationnistes les plus insoutenables, qu'ils éprouvent tant de mal
  à s'expliquer sur leur passé et à rompre avec lui. C'est du moins
  là l'hypothèse que nous allons suivre à présent [12]. L'ultra-gauche face au fascisme  Pour comprendre pourquoi des militants de l'ultra-gauche ont pu se
  laisser abuser par la camelote négationniste, il est nécessaire, en
  effet, de revenir de manière critique sur la matrice théorique qui
  était la leur et qui, pour l'essentiel, reste la leur. Celle-ci
  contenait toute une série de propositions qui rendaient possible,
  sinon inévitable, leur dérive ultérieure. A commencer par leurs
  positions à l'égard de l'antifascisme, dont nous venons d'avoir un
  aperçu. On peut condenser ces positions dans une sorte de syllogisme
  dont voici la substance. Première prémisse: la dénonciation de l'antifascisme
  comme idéologie. L'ultra-gauche a toujours accusé l'antifascisme de
  n'être en définitive qu'une idéologie au service de la
  démocratie bourgeoise et du stalinisme. En couvrant son ennemi
  (notamment le nazisme) de l'opprobre des pires crimes, en le
  diabolisant, en en faisant le mal absolu, l'antifascisme aurait du
  même coup légitimé ou relégitimé démocratie et stalinisme, en
  couvrant leurs propres crimes, que ce soit pendant la guerre (par
  exemple les bombardements de Dresde ou d'Hiroshima) ou après guerre
  (notamment lors des guerres coloniales ou lors de la répression des
  soulèvements populaires en Europe de l'Est). «En réalité
  l'antifascisme a servi à couvrir et justifier bien des saloperies à
  l'égard de telle ou telle population. Et d'abord il a permis de
  couvrir un répugnant racisme antiallemand. Mais aussi la répression
  colonialiste: les émeutiers algériens de Sétif [1945],
  dont on a fait une boucherie - c'étaient des ‘hitlériens’.»  lit-on par exemple dans le tract-manifeste Notre royaume est
  une prison; ou encore: «La mise en avant des crimes nazis
  a pour première fonction de justifier la Seconde Guerre mondiale et
  plus généralement la défense de la démocratie contre le fascisme
  : la Seconde Guerre mondiale ne serait pas tant un conflit entre
  nations ou impérialismes qu'une lutte entre l'humanité d'une part
  et la barbarie d'autre part.» [13]   Par ailleurs, et surtout peut-être pour ces révolutionnaires que
  voulaient être les membres de ces divers groupes de l'ultra-gauche,
  en substituant l'opposition «factice» de la démocratie et de la
  dictature à l'antagonisme réel entre bourgeoisie et prolétariat,
  l'antifascisme aurait embrigadé ce dernier dans un combat qui
  n'était pas le sien, dans un combat entre fractions et formes
  rivales du capital, donc en définitive au service de son propre
  maître: «L'idéologie antifasciste se propose de sauver
  la démocratie par tous les moyens face au fascisme et aux dictatures
  étatistes qui lui sont plus ou moins assimilées. Mais en vérité
  cette idéologie est d'abord le moyen de noyer les perspectives
  propres du prolétariat dans la confusion et d'intégrer cette classe
  dans la défense du monde capitaliste. L'opposition entre fascisme et
  antifascisme, dont on a fait un absolu, a d'abord été une mauvaise
  blague que les exploiteurs et les politiciens ont fait au
  prolétariat.» lit-on toujours dans Notre royaume est une
  prison. En ce sens, l'antifascisme remplirait la même fonction
  que le fascisme, celle d'aliéner le prolétariat en le mettant au
  service d'une entreprise contraire à ses intérêts propres, et
  serait tout aussi contre-révolutionnaire que lui: «Dans le
  capitalisme allemand ébranlé d'après 1914-1918, l'antisémitisme a
  servi cyniquement à unifier politiquement des couches sociales
  hétérogènes et à les faire adhérer à l'Etat. L'antifascisme a
  la même fonction politique et utilise les mêmes ressorts
  psychologiques, même si la cible a changé. Il faut en finir avec
  l'antisémitisme. Il faut en finir avec l'antifascisme. L'un et
  l'autre sont le ‘socialisme des imbéciles’. L'antifascisme est
  une forme plus évolué, plus subtile que l'antisémitisme, mais pas
  moins contre-révolutionnaire.»14] Deuxième prémisse. Toute idéologie serait d'abord un
  mensonge: elle se nourrirait de mensonges et ne ferait que répandre
  des mensonges. Car dès lors que l'on considère la lutte des classes
  et la lutte politique qui lui est liée comme une guerre civile
  permanente, on est conduit à concevoir l'idéologie sur le mode de
  la propagande de guerre: du bluff et du «bourrage de crâne». On
  relève par exemple dans cette littérature d'ultra-gauche: « L'antifascisme démocratique et l'antinazisme de sex-shop (sic) n'ont pas encore fini leur temps, quoiqu'ils soient plus vulnérables
  aujourd'hui à la critique. En faire la critique, c'est révéler les
  mécanismes les plus généraux de la propagande de guerre, du
  mensonge qui fonctionneront - plus ou moins bien et, espérons le, le
  moins bien possible - jusqu'à la destruction du capitalisme.» [15]
  Ou encore: «Même si l'on peut ne pas être d'accord avec
  la démarche et certaines thèses de Faurisson et de Rassinier, il
  faut remarquer que les persécutions et les camouflages qui
  persistent dans cette affaire, cachent un mensonge trop évident dans
  lequel sont impliquées de très larges fractions du capital (la
  gauche notamment). C'est pourquoi toutes contributions ou révélations
  à ce propos seront positives dans la lutte contre les mystifications
  capitalistes.» [16]  Conclusion: une bonne partie sinon tout ce que
  l'antifascisme a dit du fascisme ne serait qu'un tissu de mensonges;
  à commencer par l'existence des chambres à gaz, symbole de
  l'exterminationnisme nazi. Ainsi lit-on dans le tract intitulé Qui
  est le Juif ?: «La légende des "chambres à gaz"
  a été officialisée par le tribunal de Nuremberg, où les nazis
  étaient jugés par leurs vainqueurs. Sa première fonction est de
  permettre au camp stalino-démocratique de se distinguer absolument
  de celui des nazis et de leurs alliés.» Ces publications
  d'ultra-gauche laissent apparaître une véritable obsession des « mystifications capitalistes» sur la Seconde Guerre mondiale,
  l'idée que le récit qui en a été fait et les explications qui en
  ont été données et divulguées n'est que le  «point de vue
  des vainqueurs», essentiellement destiné à couvrir ou à tout
  le moins à atténuer leur propre responsabilité, que ce soit dans
  le déclenchement de la guerre (par exemple l'appui prêté, dans un
  premier temps au moins, au nazisme par les forces bourgeoises) ou
  dans sa conduite (par exemple leur indifférence voire leur
  complicité dans les crimes nazis), comme plus généralement à se
  refaire une virginité: «Il doit être clair que si le capital
  entretient des mythes ou expose – avec visites organisées – un 
  ‘Musée des horreurs’ tel que celui d'Auschwitz ou d'autres camps
  de concentration, c'est pour mieux conjurer l'horreur de son
  exploitation quotidienne dans les bagnes du salariat, les
  cités-dortoirs ou sur les autoroutes, et pour mieux masquer sa
  préparation à des destructions de vies humaines encore plus
  massives que lors des deux guerres mondiales ou depuis 1945.» [17]   On peut encore résumer autrement la démarche de l'ultra-gauche
  face à l'antifascisme: comme bien d'autres avant elle, elle a cru
  que les ennemis (les négationnistes) de ce qu'elle considérait
  comme son ennemi politique (l'antifascisme) ne pouvaient être que
  ses amis. Cela apparaît clairement dans la réponse adressée par Jeune Taupe – dans le jargon qui est le sien – à la
  lettre d'un camarade britannique lui reprochant de s'être jetée
  dans la gueule du loup: «L'usage qui peut être fait de
  certains travaux par certaines fractions de la bourgeoisie (ici
  l'extrême-droite) contre d'autres fractions est selon nous un faux
  problème (...) Tout ceci déplace la question qui est la suivante:
  les travaux de R. Faurisson (comme ceux de P. Rassinier) peuvent-ils
  contribuer – même s'ils ne sont pas la théorie révolutionnaire –
  à une clarification révolutionnaire ? En ce qui nous concerne, nous
  le pensons, dans le sens où ils fournissent une arme importante pour
  détruire toute l'historiographie officielle construite par les
  vainqueurs de la IIe Guerre mondiale.» [18]
  C'est pourquoi, comme nous l'avons vu, les militants de Jeune
  Taupe pouvaient ne pas se soucier de savoir si Faurisson était
  ou non antisémite. En définitive, c'est bien leur haine
  inextinguible de l'antifascisme, considéré par eux comme la plus
  grave mystification idéologique du capitalisme d'après guerre, qui
  aura aveuglé ces groupes d'ultra-gauche au point de les précipiter
  dans les bras de l'extrême-droite: en s'attaquant au «mythe des
  chambres à gaz», ils ont cru pouvoir en finir une fois pour
  toutes avec leur bête noire politique.  Il n'est que trop facile de relever les erreurs contenues dans les
  deux prémisses du précédent «syllogisme». Faire de
  l'antifascisme une idéologie au service du stalinisme et des
  démocraties «bourgeoises», plus largement au service de l'«ordre
  capitaliste», est pour le moins réducteur. Des années 1920 pendant
  lesquelles il se forme aux années d'après-guerre où il triomphe,
  l'antifascisme ne conservera ni le même contenu ni le même sens:
  qu'il ait pu, après-guerre, être «instrumentalisé» à des fins
  de (re)légitimation par les élites politiques au sein des
  démocraties occidentales aussi bien que par les directions
  staliniennes des partis soi-disant communistes, à l'Est comme à
  l'Ouest, ne doit pas faire oublier qu'il s'est forgé dans les luttes
  ouvrières et populaires d'avant-guerre, de la grève générale des
  ouvriers allemands contre la tentative de coup d'Etat de Kapp en 1920
  à l'action souvent décisive des maquis et des «francs tireurs»
  dans bon nombre de pays occupés par les nazis, en passant par
  l'assaut donné, mains nues, par le peuple de Madrid ou de Barcelone
  aux casernes tenues par les troupes séditieuses à l'annonce du pronunciamento de Franco [19].  Quant à la réduction de l'idéologie au mensonge, soit en un
  simple instrument de manipulation des masses au service de la classe
  dominante ou de l'Etat, elle ne peut être le fait que d'une
  conception policière, pire: littéralement paranoïaque de
  l'Histoire, transformant «l'ennemi de classe», le capital, en sujet
  démiurgique doué d'une redoutable capacité mystificatrice, et
  scrutant quelques obscurs manoeuvres ou complots de sa part derrière
  tout mouvement politique qui n'est pas l'expression claire et directe
  de l'activité révolutionnaire du prolétariat. Pour autant que le
  concept d'idéologie ait un sens, il désigne au contraire un
  ensemble de représentations relevant de l'expérience vécue des
  rapports sociaux, avec la part inévitable d'erreur et d'illusion
  propre à toute expérience vécue, bien plutôt qu'un mensonge
  sciemment organisé et utilisé.  En définitive, derrière la critique de l'antifascisme, on retrouve
  l'équivalence établie dès les années 1920, par l'ultra-gauche,
  entre fascisme, démocratie bourgeoise et «communisme» stalinien,
  comme autant de régimes dont les différences ne seraient
  qu'apparentes, comme autant de masques du pouvoir étatique du
  capital. Dans Notre royaume est une prison, on lit par exemple
  : «La mythologie de l'antifascisme, libéral ou stalinien,
  réécrit l'histoire et dissimule l'unité profonde des formes
  démocratiques et dictatoriales que prend l'Etat. La démocratie sera
  toujours prête à se transformer en dictature, et vice versa, pour
  sauver l'Etat !». Et cette équivalence se fonde elle-même sur
  la dévalorisation traditionnelle, à l'ultra-gauche, de la
  démocratie bourgeoise, parlementaire, représentative et de ses
  «libertés formelles», réduites (là encore) à une simple
  idéologie, destinée à masquer et à justifier la perpétuation des
  rapports capitalistes d'exploitation et de domination.   Critiquer cette conception de la démocratie politique nous ferait
  sortir du cadre de cet article. Contentons nous ici de rappeler que,
  pour limitée et illusoire qu'elle soit, la démocratie bourgeoise
  n'en a pas moins offert au prolétariat la possibilité de
  s'organiser en associations, syndicats et partis politiques et, ce
  faisant, de limiter au moins sa propre domination et exploitation.
  C'est à ce titre que ses éléments les plus conscients ont toujours
  spontanément défendu ce régime, contre toutes les forces qui
  menaçaient de les priver de ces conditions élémentaires de
  l'organisation de leur lutte de classe.   Relevons aussi au passage le simplisme d'une pensée qui voit, au
  plus, des différences de degré et non pas de nature entre les
  diverses formes politiques que prend la domination capitaliste:
  démocratie, Etat fort, Etat d'exception, bonapartisme, dictature
  militaire, fascisme. C'est cette même propension à réduire
  l'essentielle complexité du réel à quelques schémas simplistes,
  puis à nier le réel lui-même dès lors qu'il s'avère résister à
  cette réduction, que nous allons retrouver à l'oeuvre dans la
  manière dont ces groupes d'ultra-gauche ont abordé Auschwitz. L'idéologie ultra-gauche face à Auschwitz  Au-delà de ses positions particulières sur le fascisme et
  l'antifascisme, c'est l'ensemble de la matrice théorique de
  l'ultra-gauche qu'il convient en fait d'interroger et d'incriminer en
  cette affaire.   Cette matrice se réduit, pour l'essentiel, à une vulgate marxiste
  combinant, d'une part, un économisme convaincu que le cours du monde
  contemporain peut strictement se déduire des lois de fonctionnement,
  objectivement déterminables, du capital, inspirant du même coup une
  conception hyper-rationaliste de l'histoire contemporaine, versant en
  fait dans l'idéalisme (au sens philosophique), plus proche en ce
  sens de Hegel que de Marx [20];
  d'autre part, et d'ailleurs contradictoirement, la foi dans la
  capacité du prolétariat à ouvrir la voie au communisme, qui
  alimente quelquefois un véritable messianisme révolutionnaire.
  Cependant, au fur et à mesure où cette capacité s'est trouvée
  démentie par le cours des événements, l'idéologie ultra-gauche
  s'est progressivement recroquevillée sur un économisme à tendance
  catastrophiste, prédisant que faute de s'être engagé dans la
  construction du socialisme, la civilisation contemporaine ne pouvait
  que s'enfoncer tout entière dans la barbarie.  L'étroitesse d'une pareille matrice théorique, aggravée par le
  dogmatisme propre à ce milieu, ne pouvait que prédisposer
  l'ultra-gauche, dès lors qu'elle allait être confrontée à la
  redoutable tâche de comprendre (expliquer et interpréter)
  Auschwitz, à une dérive révisionniste puis tout simplement
  négationniste [21].
  Car, dans le cadre d'une pareille matrice, Auschwitz est tout
  simplement incompréhensible, pire même: inconcevable et
  invraisemblable.  Au premier degré de cette dérive négationniste, la négation
  d'Auschwitz porte seulement sur sa spécificité en tant que
  génocide, en le réduisant à un cas, certes extrême, de la
  barbarie capitaliste. Par exemple, dans le texte de «repentis» Trop, c'est trop, on continue à lire: «Pour nous, les
  horreurs bien réelles d'Auschwitz ou de celles d'autres camps –
  même si la mort a été plus lente et administrée par d'autres
  techniques que les bombes classiques ou nucléaires – n'ont pas une
  différence de nature avec celles de Guernica, Dresde, Sétif ou
  Hiroshima. La barbarie capitaliste n'a pas de limites et peut
  s'exercer par tous les moyens tant que les exploités et dépossédés
  ne mettront pas un terme à ce système foncièrement inhumain. Bien
  entendu, il ne s'agit pas de tout mettre sur un même plan réducteur
  (par raisonnement bêtement analogique) et, dans l'analyse de la
  panoplie du gangstérisme capitaliste, il est nécessaire pour
  montrer l'étendue de ses méfaits de distinguer, par exemple, les
  crimes d'origine plus particulièrement racistes de ceux directement
  liés à des racines économico-politiques. Mais, dans ses
  conséquences, la barbarie n'induit pas des responsabilités plus ou
  moins graves que d'autres: à nos yeux, toutes les fractions
  capitalistes sont condamnables et l'on n'a pas à choisir entre la
  peste et le choléra.» (page 8) Notons au passage qu'on
  retrouve ici cette volonté de mettre sur le même plan, en dépit
  des dénégations à ce sujet, fascisme et antifascisme, démocratie
  et dictature.  D'innombrables passages de ce genre émaillent la littérature
  révisionniste d'ultra-gauche. Ce qui est ici incompris, voire nié à
  chaque fois, c'est bien le caractère exterminationniste de
  l'entreprise nazie, différente par sa nature même et non seulement
  par son degré (l'étendue du massacre, l'ampleur des moyens
  techniques, administratifs, policiers et militaires mis en oeuvre),
  de tous les massacres qui accompagnent l'établissement ou le
  maintien de rapports d'exploitation et de domination. Chercher à
  exterminer systématiquement une population, en mettant en oeuvre
  tous les moyens nécessaires pour y parvenir, et chercher à dominer
  ou exploiter une population, sont deux entreprises non seulement
  différentes, mais littéralement contradictoires, pour cette simple
  raison qu'on ne peut ni exploiter ni dominer des cadavres, mais
  seulement des hommes vivants.   Certes toute entreprise d'exploitation et de domination présente
  des aspects criminels. Ainsi une exploitation à outrance de la force
  de travail conduit à la mort plus ou moins rapide de l'exploité;
  et, en ce sens, on peut parler à juste titre, quelquefois,
  d'extermination par le travail. Mais une telle exploitation extrême
  n'est possible que pour autant que la main-d'oeuvre à exploiter est
  abondante, facilement disponible et de faible coût. De même, toute
  entreprise de domination est criminelle, ne serait-ce qu'en tant
  qu'elle finit un jour ou l'autre par opposer la violence à la
  résistance ouverte et à la révolte des dominé·e·s. Mais que
  deviendrait un tyran qui entreprendrait de massacrer systématiquement
  tous ses sujets ? Il travaillerait de manière inattendue à
  mettre fin à sa propre tyrannie...  En les enfermant dans des ghettos pour les faire mourir de faim ou
  de maladie, en les faisant massacrer par les Einsatzgruppen opérant à l'arrière des unités de la Wehrmacht sur le
  front de l'Est, en les déportant dans des camps d'extermination où
  ils étaient promis, pour la quasi totalité d'entre eux, à une mise
  à mort immédiate, les nazis ne cherchaient pas à dominer ou
  à exploiter les Juifs ou les Tziganes, mais bien à les exterminer. En bombardant Dresde ou Hiroshima, les alliés
  n'avaient pas pour but d'exterminer systématiquement toute la
  population allemande ou japonaise, mais d'en affaiblir matériellement
  et surtout moralement le potentiel de résistance pour précipiter la
  chute des régime nazi ou nippon. Quoi qu'on puisse penser de
  pareilles méthodes, qui poussent à bout la «logique» de la «guerre totale», dont l'une des caractéristiques est précisément
  de ne plus différencier la population civile des unités militaires
  combattantes, elles s'inscrivent dans une logique de domination, non
  pas d'extermination. De même, en massacrant quelques dizaines de
  milliers d'Algériens dans la région de Sétif, après le
  soulèvement du 8 mai 1945, il s'agissait avant tout, en semant
  la terreur, de recréer les conditions de la soumission coloniale
  d'une population qui avait eu la naïveté et le courage de croire
  que l'heure de sa libération était également venue; mais
  terroriser des vivants pour qu'on puisse continuer à les soumettre,
  ce n'est pas les exterminer. Malgré son cortège d'horreurs, toute
  guerre coloniale se situe toujours dans une logique de domination et
  d'exploitation de la population coloniale, et non pas d'extermination
  systématique de cette population.  Au demeurant, les nazis eux-mêmes ont éprouvé la différence et
  même la contradiction existant entre ces deux logiques. D'une part,
  ce n'est pas un hasard s'ils ont introduit des camps d'extermination à côté des camps de concentration. Si les camps de
  concentration et de travail fonctionnaient selon une logique
  d'exploitation, fût-elle à outrance, de la force de travail, ce
  n'était pas le cas des camps d'extermination (Auschwitz-Birkenau,
  Belzec, Chelmno, Maïdanek, Sobibor, Treblinka), conçus non pas pour
  exploiter la force de travail des détenus, mais bien pour les mettre
  à mort de manière aussi rapide, économique et secrète que
  possible. Toute extrapolation de l'expérience des premiers aux
  seconds ne peut que conduire à cacher voire nier la dimension
  exterminationniste de l'entreprise nazie.  D'autre part, la contradiction entre les exigences de l'exploitation
  et celle de l'extermination se sont quelquefois clairement
  manifestées à l'intérieur même de ces camps. Sous cet angle
  aussi, Auschwitz reste une figure emblématique. Auschwitz comprenait
  en fait trois camps: au camp initial de concentration (Auschwitz I)
  se sont ajoutés le camp d'extermination de Birkenau (Auschwitz II) –
  c'est lui que l'on connaît surtout et qui est devenu la figure
  emblématique de la barbarie nazie – mais aussi l'immense camp de
  travail de Monowitz (Auschwitz III), véritable centre industriel
  avec ses quarante trois «kommandos» extérieurs, un des
  noeuds de la machine de guerre nazie. Or la pénurie de main-d'oeuvre
  qualifiée nécessaire à faire tourner cette machine allait conduire
  constamment les autorités de Monowitz à prélever des contingents
  d'ouvriers et d'artisans juifs destinés à Birkenau, les «sauvant»
  ainsi temporairement ou parfois définitivement de la mort immédiate
  qui les attendait [22].
  Car, encore une fois, on ne peut faire travailler que des hommes
  vivants; la force de travail d'un cadavre est inexistante. Il est
  tout de même curieux qu'une pensée frappée au coin d'un économisme
  aussi primaire que l'est celle de l'ultra-gauche n'ait pas su
  concevoir un pareil argument, relevant pourtant lui-même de
  considérations économiques des plus élémentaires.  «Auschwitz ou le grand
  alibi» En fait, le caractère exterminationniste de l'entreprise nazie,
  telle qu'elle se trouve symbolisée par Auschwitz, n'a pas toujours
  été nié par l'ultra-gauche. Le texte le plus significatif à cet
  égard est sans doute celui publié sous le titre Auschwitz ou le
  grand alibi par le courant bordiguiste dans le numéro 11 de sa
  revue Programme communiste dès 1960, et que ce même courant
  republiera en brochure en 1979, augmenté d'une préface. Ce texte
  est doublement important dans l'histoire de la littérature
  révisionniste et négationniste d'ultra-gauche. En raison de son
  ancienneté, tout d'abord, qui permet de le considérer comme un des
  textes fondateurs de cette dérive, conjointement aux écrits de
  Rassinier [23].
  D'autre part, il représente la tentative la plus claire de rendre
  compte de l'entreprise exterminationniste nazie dans les termes de la
  vulgate marxiste pratiquée par l'ultra-gauche. Il n'en fait que
  mieux ressortir l'absurdité d'une telle démarche, et la manière
  dont son échec inévitable ne pouvait qu'ouvrir la voie à une
  négation encore plus radicale d'Auschwitz.  Cet article se propose de dénoncer «l'erreur» et « l'hypocrisie» de l'explication commune d'Auschwitz, censée
  être frappée au coin de «l'idéalisme bourgeois», qui
  voudrait «faire croire que ce sont le racisme et
  l'antisémitisme qui sont en eux-mêmes responsables des souffrances
  et des massacres, et en particulier qui ont provoqué la mort de six
  millions de Juifs lors de la dernière guerre» (page 1). A
  cette fin, il s'agit de lui opposer une analyse «matérialiste », mettant à nu «les racines réelles de l'extermination
  des Juifs, racines qu'il ne faut pas chercher dans le domaines
  des’idées’, mais dans le fonctionnement de l'économie
  capitaliste et les antagonismes sociaux qu'il engendre» (ibidem). C'est donc bien en fonction de sa matrice théorique propre
  que ce courant de l'ultra-gauche propose ici une analyse d'Auschwitz
  destinée à montrer que ce dernier est réductible aux lois
  éternelles de fonctionnement du capital.  Dans cette perspective, comment se trouve en effet expliquée
  l'extermination systématique des Juifs dans toute l'Europe par le
  régime nazi ?  Tout simplement par une sorte de règlement de compte
  interne à la petite et moyenne bourgeoisie allemande ! Dans le
  contexte de la crise des années 1920 et 1930, la menace permanente
  que fait peser sur cette classe la concentration du capital aurait
  pris une forme paroxystique, ne lui laissant d'autre choix que de
  faire la part du feu: de condamner à la disparition une partie
  d'entre ses membres pour sauver tout le reste de la classe; et c'est
  aux Juifs, qui se trouvaient alors pour l'essentiel concentrés au
  sein même de cette classe, qu'aurait été porté le coup fatal: « C'est en réaction à cette menace terrible que la petite
  bourgeoisie a ‘inventé’ l'antisémitisme. Non pas tant, comme
  disent les métaphysiciens, pour expliquer les malheurs qui la
  frappaient, que pour tenter de s'en préserver en les concentrant
  sur un de ses groupes. A l'horrible pression économique, à la
  menace de destruction diffuse qui rendaient incertaine l'existence de
  chacun de ses membres, la petite bourgeoisie a réagi en sacrifiant
  une de ses parties, espérant ainsi sauver et assurer l'existence des
  autres. L'antisémitisme ne provient pas plus d'un ‘plan
  machiavélique’ que ‘d’idées perverse’: il résulte
  directement de la contrainte économique. La haine des Juifs, loin
  d'être la raison a priori de leur destruction,
  n'est que l'expression de ce désir de délimiter et de concentrer
  sur eux la destruction.» (page 11).  Les objections abondent évidemment contre cette explication
  économiste jusqu'à l'absurde de l'exterminationnisme nazi, y
  compris d'un point de vue marxiste. Sans même reprendre ici la
  discussion sur la nature de classe du régime nazi ou du fascisme en
  général, qui n'est en tout cas pas réductible à un simple
  mouvement de réaction panique de la petite-bourgeoisie [24],
  remarquons pour commencer que, loin d'expliquer l'antisémitisme,
  cette analyse le présuppose; car comment expliquer sans lui que ce
  soit précisément sur sa partie juive que la petite bourgeoisie ait
  «choisi» de dévier le coup mortel que lui portait le grand
  capital ? Selon les termes de la blague célèbre [25],
  pourquoi les Juifs plutôt que les coiffeurs ? Il fallait bien que,
  par l'Histoire antérieure et d'une manière spécifique, la
  population juive ait fait l'objet d'une haine commune d'une part
  significative du restant de la population allemande.   D'autre part, s'il n'avait été question que de détruire une
  partie de la petite et moyenne bourgeoisie en tant que telle, sa
  simple expropriation aurait amplement suffi: pour détruire
  socialement une classe possédante, il n'est pas nécessaire de
  détruire physiquement ses membres, il suffit de la priver de ses
  moyens de production. C'est d'ailleurs par une pareille expropriation
  que les nazis commencèrent, incitant ainsi les Juifs (du moins ceux
  qui le pouvaient encore) à quitter l'Allemagne; et, de ce point de
  vue leur tâche était en gros accomplie dès 1938 [26].
  Mais précisément, ils n'allaient pas s'en tenir là, ce qui ne peut
  absolument pas s'expliquer par une quelconque exigence ou conséquence
  immédiate des contradictions sociales que fait naître le procès
  d'accumulation du capital.  En troisième lieu, en concédant que l'essentiel des Juifs
  allemands se concentraient dans la petite et moyenne bourgeoisie, ce
  n'était certainement pas le cas des Juifs en Europe centrale et
  orientale (en particulier en Pologne, en Ukraine, en Russie, dans les
  Balkans); là l'essentiel du monde juif faisait partie du
  prolétariat et même de la paysannerie. S'il s'était seulement agi
  pour la petite-bourgeoisie allemande de liquider ses concurrents
  juifs, le nazisme n'aurait pas eu à s'en prendre à ces populations
  juives d'Europe centrale et orientale. Or ce sont précisément elles
  qui paieront le tribut le plus lourd à la Shoah. Et la même
  objection pourrait se répéter à propos des autres populations qui
  ont été victimes de l'entreprise génocidaire nazie, à commencer
  par les Tziganes ou les malades mentaux.  Enfin, l'analyse précédente n'explique pas non plus pourquoi,
  alors que la contradiction entre grand capital et petite bourgeoisie
  était générale en Europe à l'époque, ce soit sous l'égide du seul régime fasciste allemand que cette contradiction ait
  abouti à la destruction systématique des Juifs. Bien plus, on aura
  vu un autre régime fasciste, celui de Mussolini, non seulement ne
  pas suivre une pareille voie, mais mettre des obstacles à
  l'entreprise génocidaire nazie, du moins jusqu'à ce qu'il ne se
  transforme en régime fantoche aux mains des nazis, après 1943, dans
  le cadre de la «République de Salo» [27] ;
  alors qu'au contraire, certains régimes pas toujours qualifiés de
  fascistes, même s'ils comprenaient d'authentiques composantes
  fascistes, tels le régime de Vichy ou celui d'Antonescu en Roumanie,
  se sont montrés des zélés collaborateurs de cette entreprise
  génocidaire. Autrement dit, antisémitisme et fascisme ne
  coïncidaient pas et n'allaient pas nécessairement de pair.  Bref, de quelque côté qu'on se tourne, on découvre la
  spécificité exterminationniste et antisémite de la politique
  nazie, dont l'analyse développée par l'ultra-gauche est
  incapable de rendre compte et que, du même coup, elle tend
  constamment à occulter ou à nier. Car en cherchant à réduire
  cette politique à un simple effet objectif des contradictions de
  l'accumulation du capital, tout est fait pour nier en définitive
  l'intention et la volonté exterminationnistes du régime nazi, telle
  du moins qu'elle a pu se manifester à partir de 1941-42 [28].
  Cela ressort très clairement de ce passage de Notre royaume est
  une prison: «Ce n'est pas la volonté des dirigeants qui a
  rendu le fascisme meurtrier (...) La déportation et la concentration
  de millions d'hommes ne se réduisent pas à une idée infernale des
  nazis, c'est avant tout le manque de main-d'oeuvre nécessaire à
  l'industrie de guerre qui en a fait un besoin. Contrôlant de moins
  en moins la situation, la guerre se prolongeant et rassemblant contre
  lui des forces bien supérieures, le fascisme ne pouvaient nourrir
  suffisamment les déportés et répartir convenablement la
  nourriture.» Un peu plus et on nous expliquerait que ce sont
  les alliés qui sont responsables de la mort des détenus des camps
  nazis du fait du blocus qu'ils ont fait subir à l'Allemagne !  De même lit-on dans La Guerre Sociale: «Les
  déportations massives de Juifs et de non-Juifs ont surtout eu lieu
  en 1942-44, car l'Allemagne avait alors besoin de toutes ses forces
  dans une guerre qu'elle commençait à perdre. Elle mobilise le
  travail en le rendant obligatoire (...) même les camps de l'Est
  étaient d'abord un moyen de mettre à l'écart toute une série de
  gens inutiles ou nuisibles pour l'Etat, mais pas pour les massacrer:
  plutôt pour utiliser les inutiles à faire quelque chose qui serve
  au moins à l'Etat.» [29]
  Si cela avait été le cas, pourquoi les nazis auraient-ils déporté
  des enfants et des vieillards manifestement inaptes à travailler ?   En fait, dans ces passages, qui entretiennent délibérément la
  confusion entre camps de travail, camps de concentration et camps
  d'extermination [30],
  les détenus morts dans ces camps sont transformées en victimes
  directes ou indirectes de l'économie de guerre et de l'exacerbation
  des conditions de l'exploitation capitaliste à laquelle elle a donné
  lieu. De la volonté exterminationniste nazie à l'égard des
  Juifs et des Tziganes, il n'est plus question, il ne peut tout
  simplement pas être question dans une pareille vision du monde, qui
  ne connaît et ne comprend – et encore de manière très simpliste
  – que la logique économique de l'exploitation et non pas le délire
  meurtrier qui gît au fond de l'idéologie nazie. Car qu'y a-t-il de
  plus «anti-économique» pour un régime que de mobiliser une part
  importante des ressources intellectuelles, administratives,
  policières et même militaires d'un pays en guerre sur plusieurs
  fronts pour détruire systématiquement une partie de la population
  qu'il contrôle ? [31] En définitive, l'entreprise génocidaire nazie s'avère tout
  simplement irréductible à l'économisme marxiste et à
  l'hyper-rationalisme hégélien servant habituellement de grille de
  lecture théorique à l'ultra-gauche: Auschwitz ne se laisse
  pas directement déduire des lois de reproduction du capital, pas
  plus qu'il ne rentre dans les schémas d'une histoire censée être
  l'oeuvre d'une raison immanente. Conclusion: comme la théorie ne
  prévoit pas un pareil phénomène et qu'il n'est pas question pour
  autant de douter de cette dernière (puisqu'elle est la seule censée
  pouvoir expliquer l'histoire contemporaine), c'est tout simplement
  que le phénomène n'a pas eu lieu. C'est ce «raisonnement»
  implicite qui entraînera une part de l'ultra-gauche sur la voie du
  négationnisme. «Raisonnement» qui en dit long sur le caractère
  profondément irrationnel de leur pensée, qui récuse l'épreuve du
  réel comme norme de vérité, irrationalisme qui n'est jamais que
  l'autre face de leur délire hyper-rationaliste.   Le caractère proprement inconcevable de l'entreprise génocidaire
  nazie dans le cadre des présupposés de l'idéologie d'ultra-gauche
  n'apparaît jamais aussi bien que dans le passage suivant, dans
  lequel la réalité de ce qu'a été l'entreprise exterminationniste
  nazie est, d'un même mouvement, parfaitement résumée et tout
  simplement déclarée impossible parce que littéralement
  inintelligible et inconcevable au regard de ces présupposés: «De
  moyen utilisé au service d'une politique national-socialiste, le
  racisme ‘aryen’ – en premier lieu antisémite – exprimé
  entre autres dans Mein Kampf, serait devenu un but en
  lui-même. De contribution odieuse à l'établissement du Troisième
  Reich, l'idéologie antisémite se serait transformée en un objet
  primordial, transcendant en quelque sorte les impératifs des
  rapports de production capitalistes pour planifier un ‘crime
  parfait’: l'extermination de six millions de Juifs – la
  ‘solution finale’ – signifierait alors la déportation massive
  et l'organisation des ‘camps de la mort’ équipés pour réaliser
  cet objectif. Par l'opération du diable nazi, les intérêts de
  bourreaux sadiques se seraient substitués à ceux d'un système qui
  avaient besoin de bourreaux dans le but de se perpétuer comme
  système de profit. Mirage des possibilités ‘autonomes’ sans
  limites attribuées à l'idéologie détachée des rapports de
  production.» [32]
  En d'autres termes, les présupposés de l'ultra-gauche devaient la
  rendre aveugle à l'égard non seulement de l'autonomie réelle que
  le politique (l'Etat) et l'idéologique (en l'occurrence le racisme
  antisémite) peuvent acquérir à l'égard de l'économique (les
  rapports de production, les intérêts de classe) au sein de régimes
  dictatoriaux tels que le régime nazi; mais surtout à l'égard de
  tout ce que la domination du capital comprend elle-même
  d'irrationalité et, plus encore, à l'égard de tout ce qu'elle
  exige et mobilise d'irrationalisme, de la part de ceux qui s'en font
  les «fonctionnaires» comme de ceux qui prétendent s'y opposer sur
  une base aliénée et illusoire (par exemple nationaliste) – les
  deux pouvant d'ailleurs se confondre. Or le fascisme (et tout
  particulièrement le nazisme) fut bien, en un sens, un mouvement de
  cette nature, accomplissant les exigences les plus extrêmes de la
  restructuration du capital tout en prétendant les surmonter au nom
  d'intérêts nationaux voire raciaux.   Une petite phrase de Notre royaume est une prison témoigne
  bien de cette conception hyper-rationaliste de l'Histoire et de
  l'incapacité qu'elle implique de penser l'irrationnel et
  l'irrationalisme comme forces agissant dans l'Histoire: «Il n'y
  a pas de monstre en face de nous. Nos ennemis, ce sont des rapports
  sociaux, même si ce sont des hommes qui les défendent et que nous
  devons affronter.» La monstruosité existe malheureusement
  bien ; dans le monde contemporain, en termes marxistes, on peut
  même rigoureusement la définir comme la personnification des
  nécessités extrêmes de la domination du capital, avec ce que cette
  personnification peut libérer de fantasmes délirants et
  d'investissements totalement irrationnels, tels que ceux que
  l'antisémitisme par exemple  a véhiculé de manière ancestrale.
  Comment ceux qui incarnent ce rapport d'oppression qu'est le capital
  ne deviendraient-ils pas monstrueux, dès lors qu'ils se donnent ou
  qu'ils sont contraints de se donner pour mission d'accomplir
  jusqu'aux exigences les plus extrêmes de cette oppression ?   Plus fondamentalement, l'incapacité de l'idéologie ultra-gauche à
  rendre compte de l'entreprise d'extermination nazie aura sans doute
  révélé certaines lacunes du marxisme en général, notamment
  l'insuffisance de sa théorie du politique ainsi que son aveuglement
  traditionnel à l'égard de la «question juive» et de
  l'antisémitisme, donc l'insuffisance de sa théorie du religieux [33].
  Sans pour autant préjuger de la capacité d'un marxisme libéré de
  son carcan économiste à relever le défi théorique que continue à
  nous lancer Auschwitz, il convenait au moins de mentionner le
  problème. De l'ultra-gauche comme sectarisme révolutionnaire  Au-delà ou plutôt en deçà des positions théoriques de
  l'ultra-gauche, c'est sa pratique politique elle-même qu'il faut en
  définitive interroger si l'on veut comprendre les raisons de la
  dérive négationniste de certains de ses membres. Héritiers de
  courants ultra-minoritaires du mouvement ouvrier, les différents
  groupes qui la composent se caractérisent traditionnellement par un
  fonctionnement politique sectaire. De la secte politique, ces groupes
  présentent en effet quelques uns des traits archétypiques.  A commencer par leur commune conviction d'être les détenteurs
  exclusifs d'une «vérité révolutionnaire» qu'ils ont pour
  mission de faire entendre et de propager contre le mensonge
  généralisé dans lequel vivrait le monde ambiant, vérité qu'il
  faut à la fois faire partager à tout le monde et défendre contre
  tout le monde. Cela conduit inévitablement au dogmatisme le plus
  étroit: à la rigidité doctrinale, au fétichisme des textes, à
  la confiance aveugle en ceux qui sont censés en être les
  dépositaires et les interprètes autorisés (un Guillaume par
  exemple), à une obsession de la «pureté doctrinale» en
  définitive. Nous avons vu comment cette rigidité a pu conduire
  certains groupes de l'ultra-gauche à nier la réalité dans son
  essentielle complexité plutôt que de modifier leur «grille de
  lecture», dès lors que celle-ci s'avérait évidemment
  insuffisante.   Cette obsession de la «pureté révolutionnaire» n'est pas moins
  caractéristique d'un fonctionnement sectaire, incitant à pratiquer
  une sorte de fuite constante en avant dans l'hyper-criticisme (pour
  se distinguer des forces classiques de gauche et mêmes des
  «gauchistes»), encore accélérée par l'idée, classique à
  l'ultra-gauche, que l'effondrement du capitalisme est imminent et
  qu'il faut le hâter en lui portant des coups fatals. D'où par
  exemple la surenchère à la radicalité révolutionnaire entre les
  différents groupes de l'ultra-gauche, chacun étant constamment
  enclin à suspecter et à dénoncer chez les autres telle «tiédeur
  » ou reste d'«idéologie bourgeoise» propre à les disposer au
  compromis ou à la déviation. D'où aussi leur recherche délibérée
  de la provocation et du scandale, de surcroît seule façon de
  conquérir une audience en sortant de leur marginalité. Et, de ce
  point de vue, la cause négationniste était parfaite, et c'est
  pourquoi ils se sont empressés de l'épouser: pour un milieu qui
  avait tendance à mesurer l'authenticité et la radicalité de son
  engagement politique à sa capacité à faire scandale, à se mettre
  à dos à la fois la grande presse, l'Université mais aussi les
  organisations représentatives classiques du mouvement ouvrier,
  quelle meilleure occasion rêver ? [34]  D'autant plus – et cela aussi est un trait caractéristique du
  fonctionnement sectaire – que cela leur aura permis de se poser en
  martyrs de la vérité révolutionnaire: en victimes de la
  persécution qui frappe partout et toujours les authentiques
  détenteurs de la vérité critique et de la pratique
  révolutionnaire. Dès lors critiques, attaques ou poursuites pénales
  sont autant de preuve de la vérité inaudible et scandaleuse dont le
  groupe est porteur: celui-ci ne peut avoir qu'autant de fois raison
  que les autres, tous les autres, lui donnent tort. Ressort propre à
  toute pensée paranoïaque.  Autrement dit, là où, en principe, l'héritage d'une pensée
  critique, la discussion collective et la discipline (l'auto-contrôle)
  du groupe auraient pu et dû éviter des dérives de cette sorte, le
  caractère sectaire du fonctionnement des groupes d'ultra-gauche les
  aura au contraire favorisés, en court-circuitant l'ensemble de ces
  garde-fous.   De ce point de vue, la secte révolutionnaire, dont les groupes de
  l'ultra-gauche constituaient dans les années 1970 et 1980 une bonne
  illustration, apparaît comme beaucoup plus dangereuse encore que le
  «parti de type léniniste», dont certains de ces
  groupes se voulaient pourtant une critique en acte. Ne pouvant pas
  comme le second espérer prendre et exercer le pouvoir, ne se plaçant
  pas même dans une telle perspective, n'étant pas davantage
  contraint comme le second à composer avec la réalité (ne serait-ce
  que sous la forme de l'opinion publique) dans la marche au pouvoir ou
  dans l'exercice réel du pouvoir, la secte révolutionnaire peut
  laisser libre cours à son délire verbal. Elle compense ainsi en
  somme son impuissance politique réelle par un hyper-criticisme. Au
  pouvoir réel, qui est inaccessible, elle substitue le pouvoir
  fantasmatique des mots, seul capable en définitive de dissoudre
  magiquement la réalité, fût-elle de la dimension d'Auschwitz. * Cette
  contribution est parue en 1997 dans l'ouvrage collectif, Négationnisme: les
  chiffonniers de l'histoire,
  co-édité par les Editions Syllepse et Golias. 1 Etant donné que ces termes vont
  structurer toute l'analyse, il est nécessaire de procéder à leur
  définition préliminaire.  Le négationnisme consiste dans la négation pure et simple de l'entreprise
  génocidaire nazie: au cours de la Seconde Guerre mondiale, le
  régime nazi n'aurait pas développé une politique visant à
  l'extermination systématique, sous différentes formes, de
  certaines catégories des populations placées sous sa domination,
  identifiées sur la base de critères raciaux et/ou politiques. Le
  négationnisme se polarise ainsi notamment sur la question de
  l'existence des chambres à gaz à la fois comme instrument et comme
  symbole de la politique exterminationniste nazie.   Le révisionnisme,
  moins radical, se contente de banaliser cette entreprise génocidaire: il n'en nie pas explicitement l'existence, il en nie l'originalité
  radicale, en occultant notamment sa dimension raciste, en la
  ramenant aux dimensions d'autres crimes perpétrés au cours de
  l'Histoire, tout en cherchant de surcroît souvent à en minimiser
  l'ampleur. Le glissement est souvent insensible de l'un à l'autre
  dans les mêmes textes, le révisionnisme apparaissant fréquemment
  comme l'antichambre du négationnisme. Les négationnistes français,
  à la suite de leur maître à penser Faurisson, se présentent
  comme «révisionnistes» alors que ce sont d'authentiques
  négationnistes ; en se disant «révisionnistes», ils
  cherchent à accréditer l'idée qu'ils ne font qu'exercer
  l'habituelle critique interne et externe des documents sur laquelle
  repose tout travail d'historien, et que l'opposition qu'il rencontre
  de la part des historiens «officiels» n'est que pure et simple
  censure. Le révisionnisme est plus répandu en Allemagne qu'en
  France, ainsi qu'en a témoigné la «querelle
  des historiens» (der Historikerstreit)
  déclenchée dans les années 1986-87 par les travaux et articles de
  Ernst Nolte, Joachim Fest, Andreas Hilgruber, Klaus Hildebrand;
  voir  à ce sujet Devant l'histoire. Les
  documents de la controverse sur la singularité de l'extermination
  des Juifs par le régime nazi, Paris, Cerf,
  1988; Yannis Thanassekos et Heinz Weismann (sld), Révision
  de l'Histoire. Totalitarismes, crimes et génocides nazis,
  Paris, Cerf, 1990; Martin Broszat, «Plaidoyer pour une
  historisation du national-socialisme» et «Correspondance entre
  Martin Broszat et Saül Friedlandler sur l'historisation du
  national-socialisme» in Bulletin de la
  Fondation Auschwitz, n°24, avril-septembre
  1990, Bruxelles. 2 Le concept d'ultra-gauche désigne traditionnellement des courants
  et groupes issus, plus ou moins directement, des différentes
  «gauches communistes» (hollandaise, allemande, italienne) qui se
  sont formées, au début des années 1920, en réaction à la double
  emprise social-démocrate et bolchevique (ultérieurement
  stalinienne) sur le mouvement ouvrier européen. Ces différentes «gauches communistes» n'en étaient pas moins opposées entre
  elles, l'italienne regroupée autour de Bordiga perpétuant un
  héritage léniniste que récusait la germano-hollandaise se
  réclamant du «communisme des conseils» à l'instar de
  Pannekoek ou de Korsch. Déjà minoritaires dans les années 1920,
  ces courants allaient se trouver rapidement laminés dans les années
  1930, en étant pris en tenaille entre le fascisme et le stalinisme.
  Au cours des années 1950 et 1960, il n'en restait plus que quelques
  «buttes témoins» aux Etats-Unis (autour de Paul Mattick) et en
  France (autour de la revue bordiguiste Invariance). 3 Militant communiste puis socialiste avant-guerre, pacifiste
  convaincu, cependant déporté pour fait de résistance, Paul
  Rassinier (1906-1967) entreprend, à partir du début des années
  1950, la publication d'ouvrages, dont la plupart chez des éditeurs
  d'extrême-droite, dans lesquels pour la première fois est jeté un
  doute sur l'existence des chambres à gaz dans les camps nazis ainsi
  que sur la politique exterminationniste du régime nazi. Faurisson
  s'est directement inspiré des travaux de Rassinier dont il
  revendique l'héritage.  4 Le but de cet article n'est donc pas de répondre, sur le fond, aux
  pseudo arguments négationnistes; cela a déjà été fait, et
  d'excellente manière, par Nadine Fresco, «Les redresseurs de
  morts», Les Temps Modernes,
  juin 1980; Alain Finkielkraut, L'avenir
  d'une négation, Paris, Le Seuil, 1982; et
  surtout Pierre Vidal-Naquet, Les assassins de
  la mémoire, Paris, La Découverte, 1987. Il
  s'agira ici de comprendre par quels glissements idéologiques et
  politiques des militants et groupes de la mouvance ultra-gauche en
  sont venus à épouser et propager les thèses négationnistes, tout
  en marquant le caractère délirant de leur dérive. 5 Ce texte, qui semble avoir circulé dans le milieu ultra-gauche, n'a
  jamais été publié. Il m'a été communiqué par l'un de ses
  rédacteurs, qui tient à garder l'anonymat. 6 Publié par le réseau Reflex, en juin 1996. La préface que Gilles
  Perrault a consacrée à cet ouvrage, dans laquelle il a tenté de
  laver Serge Quadruppani et Gilles Dauvé de leur passé, a été à
  l'origine de profonds remous au sein du réseau Ras l'Front, qui se
  sont soldés par la démission de Perrault de son poste de
  responsable de publication du mensuel Ras
  l'Front. 7 Moshé a prêté un chaudron à Samuel, qui le lui a rendu percé.
  Moshé s'en plaint et Samuel se défend en disant qu'il a rendu le
  chaudron intact; que, d'ailleurs, il était déjà percé quand
  Moshé le lui a prêté; et qu'au demeurant Moshé ne lui a jamais
  prêté de chaudron. 8 Libertaires et ultra-gauche contre le
  négationnisme, op.
  cit., page 63. 9 La Banquise, n°1,
  page 27. 10 Voilà comment Dauvé et Quadruppani présentaient ce même épisode
  dans le numéro 2 de La Banquise (page 42): «En
  1977, un projet de texte avait été donné à La
  Guerre Sociale par G. Dauvé. Modifié avec
  la collaboration directe ou indirecte de pas mal de monde, dont P.
  Guillaume, il parut en 1979 dans le n°3 de La
  Guerre Sociale.» Qu'il se soit agi d'un «brouillon»
  ou d'un «projet de texte»,
  Dauvé a bien pris part à l'élaboration de cet article
  révisionniste à tendance négationniste. Et lui, aussi bien que
  Quadruppani, en approuvaient encore le contenu dans une réunion du
  groupe de La Guerre Sociale qui s'est tenue au printemps 1980 (cf. La
  Banquise, n°2, page 42). 11 Paru chez Balland en 1983. 12 C'est cette hypothèse qu'a esquissée le texte collectif intitulé
  «Les ennemis de nos ennemis ne sont pas
  forcément nos amis», dénonçant le
  négationnisme d'ultra-gauche, publié dans différents journaux
  libertaires au cours de 1992, figurant en annexe de Libertaires
  et ultra-gauche contre le négationnisme.
  J'ai signé ce texte, en ignorant  à l'époque le passé
  révisionniste de certains de ses rédacteurs et signataires, qui se
  blanchissaient ainsi à peu de frais, en dénonçant une escroquerie
  et une saloperie sans préciser la part directe qu'il y avait prise.
  Ce qui m'a valu de leur avoir involontairement servi de caution, en
  étant victime de leur duplicité. Une duplicité dont voici un
  autre exemple: à la même époque où il cosignait le texte «Trop, c'est trop», pour censément rompre avec le négationnisme,
  Daniel Cosculluea adressait une lettre à l'Union des Athées pour
  protester contre les remous qu'y avait provoqué l'adhésion de
  Robert Faurisson, une lettre commençant par... «Trop,
  c'est trop !». 13 «De l'exploitation dans les camps à l'exploitation des camps» in La Guerre Sociale,
  n°3, juin 1979, page 10. 14 De l'exploitation dans les camps à
  l'exploitation des camps, op.
  cit., page 11. 15 Ibid., page 13. 16 Jeune Taupe, n°31,
  avril-mai 1980, page 17. 17 Jeune Taupe, n°29,
  décembre 1979-janvier 1980, page 19. 18 Jeune Taupe, n°34,
  novembre-décembre 1980, page 13. 19 Pour une développement de ce thème, cf. ma contribution «Les
  ambiguïtés de la mémoire antifasciste» au Colloque «Histoire et
  mémoire des crimes et génocides nazis», Bruxelles, novembre 1992,
  parue dans le tome I des actes de ce Colloque, Bulletin
  de la Fondation Auschwitz, n°36-37,
  Bruxelles, avril-septembre 1993. 20 Le principe de cet idéalisme est résumé par la fameuse formule
  hégélienne: «Tout ce qui réel est
  rationnel, tout ce qui rationnel est réel.» 21 Je prends ici Auschwitz dans un sens métonymique, comme symbole de
  l'ensemble des crimes et génocides nazis. 22 Cf. Raul Hilberg, La destruction des Juifs
  d'Europe, traduction française, Paris,
  Fayard, 1988, pages 794-810. Le film de Steven Spielberg, La
  liste de Schindler, illustre cette même
  contradiction sur un autre cas particulier. 23 Signalons que cette brochure bordiguiste avait été rééditée
  telle quelle par La Vieille Taupe en 1970. Et l'analyse bordiguiste
  est reprise presque mot à mot par La Guerre
  Sociale dans «De l'exploitation dans les
  camps à l'exploitation des camps», op.
  cit., page 21. 24 Je me permets de renvoyer à la mise au point que j'ai tentée sur
  ce sujet dans un chapitre VI de Pour en finir
  avec le Front national, Paris, Syros, 1993. 25 «Demain on arrête tous les Juifs et tous les coiffeurs !»
  dit l'un. «Pourquoi les coiffeurs ?» répond l'autre. 26 Cf. Raul Hilberg, op. cit.,
  chapitre V, qui montre que l'expropriation est une phase nécessaire
  mais insuffisante de l'ensemble du processus de destruction. Cf.
  aussi Yannis Thanassekos, «De l'antisémitisme aux génocides nazis: dynamiques cumulatives et projet de société» in Bulletin
  de la Fondation Auschwitz, n°32-33,
  avril-septembre 1992, Bruxelles. 27 Cf. Raul Hilberg, op. cit.,
  pages 570 et sq. 28 Je ne peux reprendre ici le débat qui divise les historiens de la
  Shoah entre «intentionnalistes» et «fonctionnalistes». Tandis
  que les premiers pensent que l'extermination systématique des Juifs
  entrait dans les vues du régime nazi (de ses dirigeants) dès ses
  débuts, les seconds soutiennent qu'elle est essentiellement le
  résultat des circonstances (le cours contraire de la guerre
  mondiale) et des contradictions internes du régime nazi. Sur ce
  débat, cf. EHESS, L'Allemagne nazie et le
  génocide juif, Paris, Gallimard/Seuil, 1985
 ; Philippe Burin, Hitler et les Juifs:
  genèse d'un génocide, Paris, Le Seuil,
  1989; François Bédarida (sld), La
  politique nazie d'extermination, Paris,
  Albin Michel, 1989. 29 «De l'exploitation dans les camps...», La
  Guerre Sociale, n°3, op.
  cit., pages 12 et 20. 30 Confusion que l'on retrouve aussi dans ce passage de De
  l'exploitation dans les camps à l'exploitation des camps: «Y a-t-il eu des ‘chambres à gaz’
  dans certains camps de concentration ? L'histoire officielle a
  renoncé à l'existence de gazage à Dachau. Qu'en est-il
  d'Auschwitz ?» (page 9). Les chambres à
  gaz n'ont en fait fonctionné que dans les camps d'extermination
  (tels Auschwitz-Birkenau) et non pas - sauf très rares exceptions
  dont le Struthof en Alsace - dans les camps de concentration (tels
  Dachau). 31 Cela a été notamment souligné par Saül FRIEDLANDER dans  «De
  l'antisémitisme à l'extermination. Esquisse historiographique» in Le débat, n°21,
  septembre 1982. 32 De l'exploitation dans les camps à
  l'exploitation des camps, op.
  cit., page 14. 33 Cf. à ce sujet Enzo
  Traverso, Le marxisme et la question juive,
  Paris, La Brèche, 1990. 34 C'est sans doute un mélange similaire d'esprit anticonformiste, de
  goût de la provocation et de volonté de radicalisme politique qui
  explique qu'en dépit de sa dérive, Rassinier ait pu continuer à
  militer à la Fédération Anarchiste dans les années 1950 et que
  ses thèses aient pu recevoir alors un bon accueil au sein d'une
  part importante du milieu libertaire. L'irresponsabilité politique
  d'un certain «milieu révolutionnaire» n'est malheureusement
  plus à démontrer... (29 juillet 2010) Haut de pageRetour
 
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